Redonner à la France les armes de l’influence

Mis en ligne le 24 Sep 2024

Redonner à la France les armes de l’influence

A l’heure de la mise en réseau mondialisée et de la numérisation planétaire, la capacité d’influence devient d’autant plus clef. Le papier propose les points essentiels d’un rapport élaboré autour de cette thématique au sein de l’association 3AED-IHEDN. L’auteur de ce papier souligne en particulier les menaces pesant sur la France, pose le diagnostic de ses forces et faiblesses, et propose diverses recommandations pour redonner à l’Hexagone les armes de l’influence.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Jean-Bernard Curet « Redonner à la France les armes de l’influence », 3AED-IHEDN – Groupe de réflexion armement et économie de défense « Les armes de l’influence », dans « L’influence pilier de la puissance au XXIème siècle ». Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de 3AED-IHEDN.

 

Les nouvelles voies de l’influence

Dans les relations internationales, l’influence se définit par l’ensemble des actions conduites par une organisation ou un État souhaitant voir son point de vue adopté sans contrainte ni coercition, par les ressortissants, institutions ou médias d’un État adverse, concurrent ou neutre.

En temps de paix, et sur le long terme, l’influence s’exerce notamment au travers des leviers diplomatiques, culturels, économiques, les ventes d’armements ou les transferts de technologie.

En période de crise / de conflit / voire de luttes internes, et à plus court terme, les actions d’influence informationnelles doivent, parallèlement aux actions à long terme, rendre inopérants certains projets de l’adversaire et contribuer, in fine, à le vaincre ou du moins à obtenir la résolution du conflit à son propre avantage.

L’influence devient offensive, en particulier en situation de crises, lorsque les actions conduites poursuivent l’objectif d’affaiblir et de saper la posture diplomatique, économique, politique ou militaire de l’adversaire. Les actions d’influence offensive peuvent être indispensables lorsque l’adversaire ou le concurrent ne respecte plus les règles de droit, les traités ou les usages diplomatiques.

Il est fondamental que les moyens d’influence soient spécifiques à chaque cible pour s’adapter au mieux à son régime politique, à sa taille, à son idéologie, à ses moyens économiques et militaires.

Les moyens d’influence informationnelle et offensive doivent également être adaptées aux entités visées, selon qu’il s’agisse de médias, de larges populations, de groupes ou d e personnalités ayant un rôle clef pour leur capacité d’influence ou de décision.

Des menaces multiples et diversifiées

L’univers des menaces qui pèsent sur la France s’est étendu et diversifié dans les trois dernières décennies. Durant cette période, des évolutions majeures sont intervenues, bouleversant le monde qui s’était mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Dans ce cadre nouveau, les actions d’influence, adossées à des moyens de communication en considérable développement, tiennent dorénavant une place majeure dans les stratégies (offensives ou défensives) des différents acteurs qui ont des visées expansionnistes ou dominatrices au détriment de la France.

Les organisations politiques

Elles peuvent avoir pour objectif de lutter contre un pouvoir établi, pour l’indépendance ou la reconnaissance d’un État, pour promouvoir à l’échelle mondiale une idéologie religieuse, par exemple islamiste ; ces organisations utilisent souvent des moyens terroristes.

A titre d’exemples d’organisations politiques menant ou ayant mené des actions d’influence significatives envers la France, citons l’État islamique (EI), Al Qu’aida et les Frères musulmans. Cette dernière organisation a été fondée en 1928 en Égypte par Hassan El Banna. Elle dispose d’une branche armée capable de coups de main et d’une branche politique. En Allemagne, elle a pu fonder un parti politique actif sur la scène politique intérieure.

Les organisations non gouvernementales (ONG)

Considérons le ‘frérisme’ tel qu’il a été étudié par l’anthropologue Florence Bergeaud-Blacker. Son ouvrage paru en 2023 dévoile comment le ‘frérisme’ a formé un réseau mondialisé d’organisations qui se sont données pour mission d’instaurer le califat, c’est-à-dire une société islamique fondée sur l’observance de la charia. Dans les pays où les musulmans sont présents sans être majoritaires, leur objectif immédiat est de faire de l’islam une structure respectée et agissante au sein de la société. Pour atteindre ce résultat, chaque Frère doit être un missionnaire qui approche les associations de son environnement (cultuelles, culturelles, sportives…) pour les placer sous son influence. Ces approches doivent se faire au plus haut niveau. Cette recherche de l’influence sur les institutions dirigeantes a conduit les Frères à pratiquer l’entrisme dans les institutions de l’UE et dans le champ académique. Ils ont réussi à s’imposer en relativisant le droit international, installant une doctrine victimaire et instrumentalisant la cause anti-raciste.

Green Peace est un autre exemple d’ONG transnationale qui dispose de moyens significatifs lui permettant une efficacité certaine. D’origine nord-américaine et présente dans plus de 55 pays, elle promeut une idéologie résolument antinucléaire qui l’a conduite à miner les intérêts français depuis les essais nucléaires dans l’océan Pacifique, il y a quatre décennies, jusqu’à l’exploitation des centrales civiles, de nos jours.

Les ONG se présentent comme indépendantes et financées par leurs adhérents. En fait, d’après « coordination SUD » qui regroupe 170 ONG françaises à vocation internationale, les ONG ont accès à l’argent public à hauteur de plus de 50 % de leur budget. Ainsi, il n’est pas interdit de penser que les États financeurs disposent de leviers pour orienter leurs actions. A titre d’exemple, la commission d’enquête n°739 du Sénat a établi en 2024 que ‘si les mouvements fréristes sont désormais endogènes, ils subissent des influences de la part du Maroc et de la Turquie, ne serait-ce que parce que ces deux États cherchent à contrôler leurs diasporas’. Loin de constituer les membres indépendants d’une ‘société civile internationale’, les ONG sont souvent des relais d’influence agissant dans le ‘grand jeu’ interétatique.

Les États influenceurs

Dans le contexte international, devenu très concurrentiel, l’utilisation de l’influence par les Etats est une tendance de fond.

Les États-Unis assument le rôle du ‘Grand Influenceur’. Ils y consacrent des moyens et des ressources très importants. Cette influence d’un État allié, mais concurrent, mériterait une étude approfondie.

La Chine et la Russie désirent l’établissement d’un nouvel ordre international où leur place serait bien plus importante qu’elle ne l’est actuellement et dont les puissances occidentales (États-Unis, Europe, Japon, Corée…) auraient perdu le leadership.

Ces deux pays font cause commune pour entraîner dans leur sillage le plus grand nombre possible de pays afin de constituer un ‘Sud global’. Les pays de ce Sud global ont des régimes politiques très disparates allant de la dictature la plus totalitaire à la démocratie, mais sont unis par une défiance à l’égard des pays occidentaux qu’ils accusent de négliger les droits humains qu’ils promeuvent par ailleurs quand il y va de leurs intérêts (reproche du ‘deux poids, deux mesures’). Les interventions militaires des Etats-Unis et de leurs alliés depuis 2001 ont conduit les pays arabo-musulmans à une position pour le moins réservée vis-à-vis des démocraties libérales occidentales.

Ainsi, la Russie est parvenue à éviter la condamnation de son agression envers l’Ukraine par la quasi-totalité des pays d’Amérique du Sud, d’Amérique centrale, d’Afrique et du Moyen-Orient. La Russie joue aujourd’hui un rôle très important au sein du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), rejoints depuis le 1er janvier 2024, par l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran et les Émirats arabes unis. D’autres pays envisagent de rejoindre les BRICS tels que l’Algérie, l’Arabie Saoudite, Cuba, la Malaisie, le Nigeria… Les BRICS cherchent à constituer une nouvelle force économique et géopolitique en amoindrissant le rôle du dollar US dans les échanges internationaux et en renforçant leur position dans les instances mondiales (cas du FMI, par exemple) voire en instituant des organisations internationales concurrentes à celles existantes (par exemple, création d’une banque de développement se posant en concurrente de la Banque Mondiale).

La stratégie d’influence, menée de longue date par la Russie, utilise, depuis 2014, un discours frontalement opposé à l’Occident. En Afrique, son discours se fonde sur une mise en accusation des Occidentaux (en particulier de la France) au motif du fait colonial, de la traite des noirs et d’une supposée prédation systématique des biens matériels et des œuvres d’art des pays colonisés. Cette communication utilise tous les médias, de la presse (avec le recrutement et la formation de journalistes complaisants) aux réseaux sociaux. Ce discours induit un climat de méfiance vis-à-vis de la France, qui a pu, au moindre incident, dégénérer très rapidement en franche hostilité. La présence des anciennes milices Wagner (rebaptisées Africa Corps, relevant directement de l’État russe) dans plusieurs pays d’Afrique francophone, après éviction des forces françaises, marque la volonté de la Russie de s’implanter durablement. Par ailleurs, la Russie ne se prive pas d’intervenir dans les pays occidentaux par le biais de cyberattaques et par l’activation de réseaux d’influence, l’objectif étant d’améliorer son image, de perturber le fonctionnement des démocraties et, in fine, de démontrer la supériorité de son régime autoritaire. Enfin, les services russes sont soupçonnés d’avoir essayé d’agir sur des processus électoraux de pays occidentaux afin de favoriser des acteurs politiques qui leur soient moins défavorables.

Les actions d’influence de la Chine utilisent, en particulier, l’outil financier : après avoir fait quelques dons aux pays visés (construction d’hôpitaux d’infrastructures routières…), la Chine propose l’octroi de prêts, dans la plupart des cas d’État à État, assortis de clauses léonines en cas de difficulté de remboursement. Les pays pauvres ayant tendance au surendettement se trouvent ainsi piégés et contraints de s’aligner sur les desiderata du pouvoir de Pékin. Les zones dans lesquelles la Chine déploie principalement son influence sont l’Afrique (avec pour objectif l’accès au pétrole et aux matières premières), la zone Indopacifique et l’Amérique du Sud. Dans la zone Indopacifique, elle vise à rompre ce qu’elle perçoit comme un encerclement par des pays hostiles (Taiwan, Japon, Corée, Philippines, États et territoires proches des anglo-saxons ou de la France). Pour surmonter son complexe obsidional, la Chine exerce une poussée significative vers la Polynésie française par des investissements importants dans le tourisme (achats d’hôtels de luxe), la mise en place d’un institut Confucius à Tahiti et la création de consulats à Papeete et à La Réunion. D’une façon générale, la Chine utilise beaucoup le réseau des petits commerçants chinois (diaspora), qui sont très nombreux dans ces zones et constituent des vecteurs importants pour la diffusion d’une image positive de la Chine.

L’Iran, dans la perspective de conforter son statut de puissance régionale, agit dans le monde musulman en se proclamant le champion du soutien à la cause palestinienne, laquelle avait été mise dans l’ombre par les accords d’Abraham préparés entre Israël et les états arabes. Ainsi, l’Iran peut utiliser le Hamas, le Hezbollah et les rebelles Houthis pour agir sans s’exposer directement.

Les forces et les faiblesses de la France

Un état des lieux

Présidé par le SGDSN, le Comité opérationnel de lutte contre les manipulations de l’information (Colmi) est chargé de formuler, à l’attention des hautes autorités, des orientations en matière de lutte contre les manipulations de l’information, ainsi que des propositions de réponse. Il réunit la direction des services disposant de capacités opérationnelles ainsi que leurs autorités de rattachement et les représentants des cabinets ministériels concernés.

Le l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) (Viginum) a été créé le 13 juillet 2021, au sein du SGDSN. Ce service technique et opérationnel étudie les ‘phénomènes inauthentiques’, à savoir les comptes suspects, les contenus malveillants, aberrants ou coordonnés) qui se manifestent sur les plateformes numériques et qui affectent, par des manipulations, le débat public.

Au niveau technique, Viginum anime le réseau ‘Veille, Détection, Caractérisation et Proposition’ (VDC-P), qui rassemble les administrations dotées de capacités techniques de lutte contre les manipulations de l’information.

Viginum entretient d’autres partenariats, telle la convention signée avec le ‘Pôle d’expertise de la régulation numérique’ (Peren), service à compétence en science des données.

Au plan réglementaire, internet est contrôlé par l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), agence publique indépendante, notamment chargée de la régulation des plateformes en ligne (réseaux sociaux, moteurs de recherche, plateformes de partage de vidéos…) en supervisant les moyens qu’elles mettent en place pour lutter contre la manipulation de l’information et les contenus haineux, illicites et préjudiciables.

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a édité une feuille de route pour une ‘diplomatie d’influence’, qui comporte des lignes de force telles que : promouvoir un nouvel humanisme au service des biens communs ; être beaucoup plus offensif ; s’adresser aux jeunesses du monde ; être présent partout où se construit l’influence, notamment dans les organisations internationales ; définir des priorités géographiques ; promouvoir le multilatéralisme.

Y sont aussi listés les piliers en appui de l’influence de la France :

  • son réseau diplomatique fort de 163 ambassades, 16 représentations permanentes et 89 consulats généraux et consulats, ainsi que de son siège de membre permanent au conseil de sécurité des Nations Unies ;
  • son réseau culturel constitué de 126 instituts français et alliances françaises ;
  • la Francophonie dans le monde avec 300 millions de locuteurs et un réseau éducatif de 545 lycées dans 138 pays ;
  • son statut de pays fondateur de l’Union européenne, de nation attractive et compétitive, de première nation en Europe pour l’accueil des investissements directs étrangers (IDE) ;
  • son rang de sixième économie mondiale fournissant 14,6 milliards d’aide publique au développement (APD), sous l’égide de l’Agence Française de Développement (AFD) ;
  • ses départements ou régions français d’outre-mer (Drom) et ses collectivités d’outre-mer (COM) qui lui assure une présence (y compris militaire) dans le monde entier ;
  • sa zone économique exclusive (ZEE) de 11 millions de kilomètres carrés qui fait de la France le deuxième espace maritime ayant 23 000 kilomètres de frontières maritimes avec 30 États ;
  • son rang de première destination touristique mondiale ;
  • son statut d’état doté de l’arme nucléaire possédant la cinquième armée mondiale et engagé dans des opérations extérieures (Opex).

Le MEAE gère les organisations internationales en tant que lieux d’influence, où les représentants Français et en particulier ceux occupant des responsabilités de haut niveau, peuvent faire valoir le point de vue de la France et peser sur des décisions en sa faveur, même si les cas deviennent de plus en plus rares.

Au sein du MEAE, la Direction de la coopération structurelle de défense (DCSD) a pour mission de mettre en œuvre la coopération structurelle de la France avec ses États partenaires dans les domaines de la défense, de la sécurité intérieure et de la protection civile.

Complémentaire de la coopération opérationnelle, la DCSD œuvre au renforcement capacitaire – humain et logistique – des armées ou des forces de sécurité des pays partenaires, à moyen et long terme.

Les Armées sont une composante de la stratégie d’influence et de puissance d’équilibre de la France, en temps de paix ou de crise (gagner la guerre avant la guerre), par leur existence même (avec des armements de haute technologie, des personnels entraînés et une capacité de démonstration de force et de puissance), par leur présence dans le monde (territoires ultramarins et implantations dans des États étrangers).

La stratégie d’influence du ministère des Armées est définie et sa mise en œuvre est coordonnée par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). La DGRIS assure la tutelle du réseau diplomatique de défense : 90 missions auprès des ambassades et des représentations militaires de défense (RMD) auprès de l’Otan, de l’UE, de l’ONU et de cinq organisations internationales.

Les programmes en coopération et les exportations d’armement, conduits par la Direction générale de l’armement (DGA), contribuent à renforcer les partenariats de défense avec de nombreux États, qui se tournent vers la France pour disposer des moyens nécessaires à leur propre défense, tout en y consolidant la présence et l’influence françaises. Ces engagements s’inscrivent dans le temps long. Les prises de commande d’armement en 2022 ont atteint un niveau historique avec près de 27 Md€.

Lors des conflits, les Armées intègrent une composante d’influence spécifique dans la conduite des opérations extérieures (Opex). Un volet d’action civilo-militaire (ACM) cherche à favoriser l’acceptation de la présence militaire de la France par les populations civiles en assurant la liaison avec les acteurs locaux et en contribuant à la reconstruction du pays dans une perspective de maintien ou de rétablissement de la paix.

La participation aux OMP (opérations de maintien de la paix) sous l’égide de l’ONU ou d’une organisation régionale constitue aussi un vecteur d’influence.

Tirant des leçons des dernières Opex, les Armées ont élaboré une doctrine militaire de lutte informatique d’influence. La L2I[1] désigne les opérations militaires à l’extérieur du territoire national, conduites dans la couche informationnelle du cyberespace, pour détecter, caractériser et contrer les attaques, appuyer la stratégie de communication ministérielle (StratCom), renseigner ou faire de la déception, de façon autonome ou en combinaison avec d’autres opérations. La L2I se place ainsi à la confluence de la cyberdéfense et de l’influence.

Sous le contrôle opérationnel du Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER), la planification et la conduite des opérations de L2I, intégrées dans les actions interarmées, sont assurées par le Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE) ; basé à Lyon, il concentre des ressources humaines ainsi que des moyens techniques

Le CIAE est constituée de deux unités distinctes : la CIMIC (Civil military cooperation) est en charge des actions civilo-militaire ; l’OMI ou « PsyOps » prend en charge des actions militaires d’influence. Sa mission est de mieux faire comprendre et accepter l’action des forces en opération auprès des acteurs locaux, pour gagner leur confiance. Il est doté d’une capacité d’analyse pour comprendre l’environnement humain et suivre les réseaux sociaux ainsi que les médias.

L’unité PsyOps arme un bureau dans les PCIAT (Poste de commandement interarmées de théâtre) en opération, qui met en œuvre des actions de lutte informationnelle, en utilisant des moyens variés (tracts, hauts parleurs, radio FM, diffusion de messages sur les réseaux sociaux et médias locaux…)

La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) peut mener des opérations d’influence clandestines à l’étranger. Cela se traduit notamment par la diffusion de rumeurs auprès des services de renseignement adverses ; elle mène des opérations de profilage, ciblage, et parfois de désinformation pour atteindre les décideurs adverses identifiés et les contre-pouvoirs.

À la confluence de la contre-ingérence étrangère et de la cyberdéfense, la lutte contre la manipulation de l’information occupe une place centrale dans l’activité de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). La DGSI concentre particulièrement son action sur les attaques menées sur le territoire national à des fins hostiles et d’ingérence. Ses compétences lui permettent d’identifier les opérations de déstabilisation clandestines.

Trois autres services de renseignement du ministère de l’intérieur participent aussi à ces actions. La direction nationale du renseignement territoriale (DNRT), la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) et la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie nationale.

De même, plusieurs organismes de la communauté du renseignement peuvent fournir au gouvernement par leurs actions des informations qui lui permettront d’engager des (ré)actions d’influence :

  • la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) chargée des contrer les ingérences affectant les Forces ou la BITD ;
  • la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) chargée des enquêtes douanières et des mouvements de marchandises suspects ;
  • le traitement du renseignement action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) s’occupe des circuits financiers clandestins et suspects ;
  • le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) chargée du renseignement dans les centres pénitentiaires et en particulier la surveillance des détenus radicalisés.

En application d’une décision prise lors d’un Conseil de défense et de sécurité nationale fin mars 2023, une Task force informationelle interministérielle (TF2I) a été mise en place au Centre de crise et de soutien (CDCS) ; elle a pour mission d’assurer une veille permanente sur la désinformation en ligne et de coordonner la contre-influence, face aux actions offensives extérieures, notamment en période de crise.

Un diagnostic

De récents travaux parlementaires ont souligné les faiblesses du dispositif de la France dans le champ de l’influence :

  • Une enquête parlementaire de l’AN (rapport n° 131, juin 2023) a noté la porosité de la frontière entre influence et ingérence et a souligné le manque criant de volonté politique, la passivité et la sous-estimation du danger.
  • La mission parlementaire au renseignement (AN n°1454 & Sénat n°810, juin 2023), constatant également un continuum entre influence et ingérence, souligne la naïveté face à cette menace, voire son déni. Malgré des actions de sensibilisation, la menace demeure trop méconnue par les élus, les entreprises et le milieu académique, trois milieux jugés très vulnérables. Enfin, les moyens pour détecter et contrecarrer les actions hostiles à nos intérêts fondamentaux sont jugés insuffisants.
  • Le bilan de la LPM 20219-2025 réalisé par l’Assemblée nationale (n°864, février 2023) a mis en lumière la difficile intégration de la fonction de lutte informatique d’influence (L2I) dans l’appareil militaro-sécuritaire français. La L2I, qui n’avait pas été identifiée dans la LPM 2019-2025, n’a pu être intégrée qu’en cours d’exécution, à partir de 2021. Il existe un découplage (ou une absence de cohérence) entre la stratégie d’influence politico-diplomatique et les actions d’influence opérationnelles des armées en Opex. La validité de cette évaluation est confirmée par l’effacement de l’influence de la France en RCA, au Mali, au Burkina Faso et au Niger dans la période même où se déroulait l’Opération Barkhane.
  • Enfin, le Sénat (commission d’enquête n°739, juillet 2024) a conclu au besoin de ‘refonder notre approche de lutte contre les influences étrangères malveillantes en sortant de la naïveté, de la passivité et de l’empirisme’.

Ces travaux et l’état des lieux ci-avant conduisent à souligner certains points clés :

  • La difficulté de recruter des spécialistes aux compétences rares et recherchées par les acteurs privés qui affecte le Centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE), le Commandement de la cyberdéfense (Comcyber) et la DGA Maîtrise de l’information (DGA-MI) ;
  • L’insuffisance des ressources, compétences et pratiques au sein des Armées qui disposent de très peu de moyens exploitant les NTIC et souffrent de la comparaison avec les grands compétiteurs internationaux ;
  • un manque d’intérêt des instances décisionnelles pour les nouvelles technologies et tendances sociétales liées à l’Intelligence Artificielle et aux réseaux qu’il faudrait maitriser pour disposer de vecteurs d’influence offensive permettant à la France d’avoir un impact distinctif ;
  • un regrettable mille-feuilles administratif : les entités qui se sont impliquées dans la fonction d’influence sont très nombreuses (donc, chacune, de format sous-critique) et dispersées, malgré des esquisses de coordination (Colmi et TF2I). Le MEAE et le ministère des Armées se disputent le pilotage de la définition et de la diffusion de la ‘communication stratégique en réponse aux discours étrangers’. Dans ce domaine, le MEAE milite pour une stratégie « tous secteurs », alors que les Armées souhaitent que la priorité soit mise sur des actions spécifiques à chaque zone ;
  • une constante pusillanimité institutionnelle : par peur d’être accusés de se livrer à des actions de propagande et par méconnaissance de l’impact des réseaux sociaux, les institutions et les politiques réagissent surtout aux ingérences ; l’accent est mis sur la définition de stratégies réactives plutôt que sur la formulation de stratégies d’influence de caractère réellement offensif.

En conclusion, quelques recommandations

A la lumière de ce diagnostic, un ensemble de recommandations peut être identifié pour redonner à la France toutes les armes de l’influence.

Prendre la mesure du caractère concurrentiel, compétitif, incertain et conflictuel du contexte international
Dans ce contexte hétérogène, la France doit manier autant la diplomatie d’influence (dans des situations de paix, aussi marquées par un fond de compétition) que l’influence offensive (en situations de crise et de confrontation), voire même la guerre d’influence (en situations de conflit larvé ou d’affrontement ouvert).

Fonder notre influence sur un récit lisible et cohérent

La France doit apparaître comme une puissance d’équilibre, ouverte à la coopération et au dialogue, qui n’impose pas de conditionnalités de gouvernance. La présentation de cette position s’exprimera dans un récit stratégique lisible et conforme à son histoire et sa culture. Pour gagner les cœurs, ce récit fondamental sera adapté à chaque population cible et aux différents groupes de décideurs.

Mettre en place une organisation légère, agile, unifiée et contrôlée

Par rapport à ses compétiteurs ou adversaires, la France doit compenser la dissymétrie des moyens, non seulement en structurant ses acteurs, mais aussi en reconnaissant l’impératif du pragmatisme, en renonçant aux coûteuses et inefficaces stratégies « tous secteurs », fondées sur un discours stéréotypé. La France doit mobiliser, de façon optimale, ses meilleures capacités disponibles pour servir l’action d’influence spécifique définie sur chaque cible, après prise en compte des réalités du terrain.

Pour réussir cette mobilisation et mettre fin au millefeuille organisationnel, il est proposé d’instituer une Délégation interministérielle à l’influence (DII), dont le délégué sera nommé par le président de la République.

La DII sera composée d’un noyau permanent décidant des stratégies et actions d’influence et faisant appel, sur chaque opération, à des acteurs contractuels, capables d’agilité et apportant les meilleures compétences pour rendre opératoire une action d’influence donnée et l’inscrire dans le monde réel.

Les compétences sur le pays cible seront recherchées parmi les meilleurs historiens, linguistes, géographes, anthropologues, analystes économiques et militaires … qu’ils se trouvent dans les ministères, à l’Université ou dans les sociétés françaises présentes dans le pays.

Les compétences afférentes aux thématiques d’influence seront trouvées, selon le cas, chez un industriel, un scientifique, un linguiste, un archéologue, un écrivain, un sportif, un représentant d’une ONG ou un journaliste.

Les experts non étatiques seront sélectionnés, après enquête conduite par les services compétents, pour leur discrétion, leur fiabilité et leur engagement au service de la France. Ils seront positionnés dans la réserve opérationnelle d’active.

Intégrer l’influence offensive au dispositif national

La France ne doit pas s’interdire de réaliser des actions offensives.

Chaque action offensive nécessitera la mise en place de circuits courts de communication permettant de piloter au plus près une organisation opérationnelle spécifique comportant une cellule de ciblage, des plateformes et technologies, des ressources dédiées de création de contenus et des moyens d’infrastructure prioritaires.

Chaque action offensive devra respecter les valeurs démocratiques que la France promeut. Cela interdit la désinformation qui est, d’ailleurs, fondamentalement contre-productive. La véracité et l’attribution constitueront des normes intangibles.

Vous pouvez retrouver l’intégralité du rapport « L’influence, pilier de la puissance au XXIème siècle » que l’article ci-dessus introduit via le lien suivant : télécharger le rapport

References[+]


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