Un point d’interrogation inédit sur son cours, c’est ce qui pourrait affecter la politique étrangère des États-Unis selon le résultat de la prochaine élection présidentielle. Le papier souligne la relative prédictibilité d’une future présidence Joe Biden II et s’interroge en revanche sur les conséquences d’un éventuel retour de Donald Trump à la Maison blanche. La personnalité singulière du milliardaire newyorkais laisse quelques scenarii se dessiner selon l’auteur.
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Les références originales de cet article sont : Gideon Rose , « La politique étrangère américaine post-élection », IRIS. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de l’IRIS.
Tous les quatre ans, on entend des prédictions sans fondement selon lesquelles la prochaine élection présidentielle américaine devrait marquer un tournant décisif dans la politique étrangère du pays. Cette fois-ci, cela pourrait vraiment être le cas. Si Joe Biden remporte les élections de novembre, le scénario est clair : une totale continuité avec les quatre dernières années. Une seconde administration Biden ne ferait que poursuivre les mêmes objectifs que la première. Bien qu’il puisse y avoir des changements de personnes, les objectifs resteraient les mêmes. L’administration chercherait à consolider ce qui reste de l’ordre international libéral et à répondre aux défis de sécurité croissants posés par la Russie et la Chine, tout en poursuivant une politique néo-mercantiliste désormais unanimement soutenue par les deux partis, démocrate et républicain, à Washington.
Cependant, si Donald Trump remporte les élections, et surtout s’il obtient avec les Républicains le contrôle des deux chambres au Congrès, tout le scénario est à revoir. Comme chacun sait, le président américain dispose de pouvoirs extraordinaires en matière de politique étrangère, et Donald Trump a une influence considérable auprès des membres de son parti. Ainsi, le champ des possibles est très large. Donald Trump aime les proclamations jupitériennes où se mêlent menaces de vengeance et promesses de chaos. S’il est fidèle à ses paroles, il pourrait y avoir des changements dramatiques dans de nombreux domaines. Toutefois, il est impossible de prévoir avec certitude jusqu’à quel point le milliardaire décidera de – ou pourra – bouleverser les choses.
Donald Trump est un populiste de droite avec des vues néo-isolationnistes profondément enracinées. Fort de ses quatre années d’expérience à la Maison-Blanche, il serait probablement plus sûr de lui en abordant un second mandat qu’il ne l’était en 2017. Il est donc possible d’imaginer qu’une nouvelle administration Trump s’appuierait sur le bilan de la première, tout en essayant d’effacer toutes les traces de l’intermède Joe Biden. On assisterait alors à un nationalisme économique féroce, à une volonté de réduire les engagements militaires étrangers en cours, et à un faible appétit pour s’engager dans de nouveaux. Nous assisterions sans doute également à quelques pas en arrière en ce qui concerne les efforts engagés multilatéralement pour résoudre des problèmes mondiaux tels que la santé publique et le changement climatique. Quant à la rivalité persistante avec la Chine, elle ne ferait probablement que s’amplifier.
Cependant, Trump est l’un de ces individus singuliers de l’histoire qui façonnent leur environnement plutôt que de simplement le refléter. Il agit impétueusement ou selon sa propre logique, qui diffère le plus souvent de ce que ferait quelqu’un d’autre dans une situation similaire. De plus, il est émotionnellement immature et volatile, au point qu’un universitaire de renom a écrit un livre sur son premier mandat intitulé « The Toddler in Chief ». Tout cela rend donc ses actions difficiles à prévoir.
Prenons l’exemple du conflit ukrainien. Donald Trump a manifestement un faible pour Vladimir Poutine, peu d’affection pour l’Ukraine, et peu de souci pour la sécurité européenne ou la politique d’alliance. Lors de son premier mandat, il a envisagé de retirer les États-Unis de l’OTAN. Soutenu aujourd’hui par un entourage de flatteurs plus serviles que jamais qui l’encourage à envoyer valser l’ordre mondial mis en place à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, il pourrait être tenté, cette fois-ci, de passer à l’acte pour de bon. Néanmoins, Donald Trump aime à paraître pour un gagnant et ne veut surtout pas passer pour un loser. Laisser l’Ukraine succomber à l’agression russe sous son mandat risquerait de porter un coup énorme à l’image de vainqueur qu’il voudrait léguer à la postérité. Il pourrait donc tenter de forcer Kiev à un compromis qui lui permette de sauver la face en passant pour un faiseur de paix. Mais si cela s’avère impossible à négocier, il pourrait tout aussi bien se décider à soutenir une résistance ukrainienne minimale tout en se vantant d’avoir forcé les Européens à s’engager plus avant dans leur soutien matériel à l’Ukraine.
Trump a une vision business et à somme nulle de la vie en général, ce qui inclut donc la politique étrangère. Il ne se préoccupe des intérêts des autres que lorsqu’ils l’affectent directement. Cela signifie qu’il n’est pas guidé par des principes, une morale ou encore une éthique. N’ayant aucune vision, aucun plan, il ne serait même pas tenté, toujours dans le cas d’une victoire en novembre, de remplacer l’ordre international existant par quelque chose qui lui semblerait plus en adéquation avec les intérêts américains. Sous Donald Trump, les ÉtatsUnis devraient faire peu de choses pour enrayer la régression démocratique à laquelle nous assistons dans ce désordre international qui est le nôtre. Il y aurait des discours et peu d’actions. Une stagnation plutôt qu’une révolution.
Dans le meilleur des cas, un second mandat de Trump verrait un renforcement de l’industrie de défense américaine tout en évitant prudemment les conflits militaires. Cependant, les défauts, et ils sont nombreux, de Donald Trump, pourraient entraver ces objectifs. Le plus grand inconnu reste la manière dont le président réagirait à une crise majeure. Une réaction atypique, dangereuse, à l’opposé de ce qui devrait être celle d’un chef d’État « normal », n’est pas à exclure.
Par : Gideon ROSE
Source : Institut de Relations Internationales et Stratégiques