Les dépenses européennes en matière de défense

Mis en ligne le 17 Avr 2025

Alors que l’Union Européenne lance le plan « ReArm Europe », ce papier propose un état des lieux des dépenses en matière de défense sur le continent. Il s’appuie sur les estimations de l’OTAN, de l’UE et du SIPRI pour l’année 2024. Il s’agit ici de voir comment s’organisent, se répartissent et s’encadrent les dépenses européennes de défense, qui sont en augmentation significative face à des menaces multiples et multiscalaires. Le papier aborde donc notamment les rôles de l’OTAN et de l’UE dans l’organisation et le soutien des dépenses de défense, et souligne par ailleurs les défis clefs à relever dans le contexte de « changement d’ère » auquel l’Europe fait face.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Stanislas Chopin, « Les dépenses européennes en matière de défense », Les Jeunes-IHEDN. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site des Jeunes IHEDN.

État des lieux non-exhaustif de la répartition de l’effort de défense en Europe

Lundi 3 février 2025 a eu lieu au Palais d’Egmont à Bruxelles une rencontre inhabituelle : le secrétaire général de l’OTAN Mark Rutte, le président du Conseil européen Antonio Costa, les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 États-membres de l’Union européenne et le Premier ministre britannique Keir Starmer se sont rencontrés en un sommet informel. Cette « triple première »[1] – selon RFI, [c’est] « la première fois que les dirigeants des 27 se réunissent depuis l’investiture du nouveau président américain, première fois qu’ils se réunissent pour discuter exclusivement de la question de la défense et première fois que s’y joint un dirigeant britannique depuis le Brexit » – n’est pas anodine, mais a été prévue à la suite de la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Les prises de position du nouveau président envers les pays européens, la défense de l’Europe et la participation à l’OTAN ont fait grand bruit et montrent que le « parapluie de protection américain » n’est pas inconditionnel, ni éternel. Depuis le début de la guerre en Ukraine, rares sont les dirigeants européens qui s’opposent à une revitalisation de la défense du Vieux continent, rendue encore plus urgente sous les menaces du président Trump. Si Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, reconnaît que les dépenses européennes en matière de défense ont augmenté drastiquement ces dernières années, il souligne également leur insuffisance. Les menaces qui pèsent sur l’Europe, notamment la menace d’agression par la Russie poutinienne ravivée depuis février 2022, nécessitent de passer à la vitesse supérieure pour éviter de payer « un prix beaucoup, beaucoup, beaucoup plus fort à l’avenir »[2]. Alors que la Russie pratique aujourd’hui une économie de guerre avec environ 6 % de son PIB consacré à la défense, qu’en est-il concrètement des dépenses européennes en matière de défense ? Comment s’organise et se répartit l’effort de défense en Europe ? Quels rôles jouent l’Union européenne et l’OTAN dans cet effort de défense ?

Tableau général des dépenses actuelles en matière de défense en Europe

Les dépenses en matière de défense pour les États européens s’articulent en trois branches principales : les dépenses pour le personnel, dont les pensions ; la recherche, le développement et l’acquisition de matériels de défense ; les opérations, les exercices et la maintenance. Les dépenses en matière de défense par Etat sont calculées en réunissant ces trois branches.

De manière générale, les pays d’Europe dépensent collectivement de plus en plus pour la défense du « Vieux continent ». Prenons l’Union européenne : en 2024, les États-membres ont dépensé au total 326 milliards d’euros dans leur défense (soit 340 milliards de dollars des Etats-Unis), ce qui représente une augmentation de 30 % des dépenses cumulées en matière de défense depuis 2021, et environ 1,9 % du PIB de l’UE[3]. Les estimations pour 2024[4] montrent que les États-membres qui ont le plus dépensé en valeur absolue sont l’Allemagne avec environ 97,686 milliards de dollars, la France avec 64,271 et la Pologne avec 34,975 milliards de dollars. Cependant, cela n’est pas représentatif de la répartition de l’effort de défense dans l’Union. En part du PIB en 2024, la Pologne mène la danse avec 4,1 % du PIB, suivie de l’Estonie avec 3,4 %, la Lettonie avec 3,2 % et la Grèce avec 3,1 %. L’Allemagne et la France quant à elles sont toutes deux à 2,1 %.

L’Europe ne se limitant pas à l’Union européenne, il ne faut pas oublier que le deuxième Etat européen le plus dépensier en valeur absolue est le Royaume-Uni avec 82,107 milliards de dollars en 2024, ce qui représente 2,33 % de son PIB. Le Royaume-Uni fait partie des 23 Etats sur 32 membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord à avoir atteint ou dépassé le seuil des 2 % de PIB, avec la Macédoine du Nord à 2,22 % de son PIB, la Norvège à 2,2 % et le Monténégro à 2,02 %.

Les rôles de l’OTAN et de l’UE dans l’organisation et le soutien des dépenses de défense

Le rôle le plus connu de l’OTAN en Europe est de pousser les Etats européens alliés à atteindre 2 % de PIB national dédié aux dépenses en matière de défense. Ces dépenses correspondent aux contributions indirectes des Alliés à l’Organisation. Cette « règle des 2 % »[5], qui tient davantage de la directive ou de l’objectif, n’a jamais vraiment été appliquée strictement. En 2014, la Grèce et le Royaume Uni étaient les seuls pays d’Europe au-dessus du seuil[6]. Encore en 2022, la France était à 1,93 % de son PIB[7]. Ce seuil des 2 % ne permet pas pour autant d’éviter les asymétries capacitaires en Europe : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne assurant à eux-trois environ 50 % des dépenses de défense exposées par les Alliés, en excluant les Etats-Unis. Cependant, la menace russe depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022 et la pression diplomatique exercée par le président réélu Donald Trump ont poussé les Alliés d’Europe, aidés du Canada, à atteindre 2,02 % de leur PIB combiné en dépenses de défense en 2024, par un investissement total de plus de 430 milliards de dollars.

L’autre directive importante de l’OTAN est l’objectif pour chaque Allié de consacrer 20% de ses dépenses de défense à l’acquisition de nouveaux équipements majeurs et à la recherche et au développement qui s’y rapportent[8], afin d’éviter l’obsolescence des équipements et de garantir l’interopérabilité entre les armées de l’Alliance.

Enfin, les contributions directes de l’OTAN correspondent aux dépenses des Alliés pour les budgets de fonctionnement des structures de l’Organisation. Ce budget est maigre par rapport aux contributions indirectes, s’élevant à quelque 2,6 milliards d’euros, ce qui ne représente que 0,3 % des dépenses militaires de l’ensemble des pays de l’Alliance[9]. Sont consacrés 59 % de ce budget, soit 1,6 milliards d’euros, au budget militaire, principalement pour des moyens communs de l’Alliance, qui complètent les moyens nationaux ou facilitent la coordination militaire entre les alliés.

Pour ce qui est de l’Union européenne, la Facilité européenne pour la paix (FEP) votée en mars 2021 est un outil de financement de dépenses communautaires de défense. Aujourd’hui évalué à 17 milliards d’euros, ce fonds était initialement limité à 5,7 milliards d’euros pour la période 2021-2027, mais a été progressivement relevé à mesure notamment des besoins de l’Ukraine en armement. La FEP est utilisée dans le cadre de la Politique étrangère de sécurité commune, et vise donc à financer les opérations extérieures de l’Union européenne. Ce fonds est alimenté par les Etats-membres et mis en œuvre par la Haut-représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Kaja Kallas, qui a souligné le 22 janvier 2025 le besoin d’augmenter les dépenses européennes en matière de défense : « Nous dépensons des milliards dans nos écoles, nos systèmes de santé et notre protection sociale. Mais si nous ne dépensons pas plus dans la défense, tout ceci sera mis en danger. »[10] Pour l’instant, un peu plus de 13 milliards d’euros sont alloués à la défense et la sécurité de l’UE sur la période 2021-2027, dont 8,5 milliards consacrés à la défense[11].

À la FEP s’ajoutent la Coopération structurée permanente (CSP) depuis 2017 qui fluidifie les décisions d’augmentation et la coordination des dépenses européennes en matière de défense et le Fonds européen de défense (FEP) depuis 2021 qui facilite le financement de projets industriels en commun dans l’Union.

Au total, les Etats-membres de l’UE ont investi 102 milliards d’euros dans la défense en 2024, dont 88,2% (soit 61 milliards d’euros) ont été consacrés à acquérir de nouveaux équipements de défense, dans une augmentation de 19 % par rapports aux investissements de 2022. Cette augmentation des investissements suit la même dynamique que la directive otanienne des 20 % et est encouragée par les directives du Rapport sur la Boussole stratégique de 2024 du Service européen d’action extérieure (SEAE).

Quels défis à relever dans ce « changement d’époque » ?

Face à l’invasion d’envergure de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les pays européens se doivent de faire mieux en matière de dépenses de défense. Cet événement a agi comme un électrochoc, en rappelant aux sociétés occidentales « les horreurs de la guerre et que l’Europe doit dépenser davantage pour la défense afin d’assurer sa propre sécurité et sa propre dissuasion »[12]. En une décennie, marquée en 2014 par l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, la France a augmenté son budget de défense d’environ 40%[13]. En deux ans, de 2022 à 2024, la Pologne a augmenté ses dépenses de défense de presque deux points de pourcentage de PIB, quadruplant sur une décennie son budget de défense. L’Allemagne a elle sur la même période 2014-2024 doublé son budget, dans la lignée de la déclaration devant le Bundestag du chancelier Olaf Scholz du 27 février 2022 qui prenait acte d’un « Zeitenwende » (changement d’époque) et annonçait le « fonds spécial » de 100 milliards d’euros qui a permis à l’Allemagne d’atteindre les 2 % de PIB.

Cependant, ce fonds n’est que ponctuel et sera dépensé d’ici 2027-2028. Or les élections fédérales prochaines en Allemagne n’assurent pas la longévité de l’effort de défense allemand, bien que Donald Trump force le dialogue vers une exigence américaine de dépenses européennes en matière de défense à 5 % du PIB de chaque État membre de l’OTAN.

Bien que les Etats-Unis consacrent un peu plus de 3 % de leur PIB à la défense, le déséquilibre du « fardeau » des dépenses au sein de l’OTAN est tel que les Etats-Unis se considèrent légitimes à revendiquer la fin des free riders européens. Si la brutalité qui caractérise l’exercice de la diplomatie trumpienne envers les Européens fait couler de l’encre et tourner les têtes, l’idée qui soutient cette exigence des Etats-Unis a été concédée par la Haut-représentante Kaja Kallas en janvier : « Le président Trump a raison de dire que nous ne dépensons pas assez »[14], cherchant à produire une accélération des dépenses de défense européennes.

La prise de conscience par les Européens de la menace russe combinée au risque de désintéressement de l’OTAN et de l’Ukraine de la part des Etats-Unis, visible dans le discours de fracture du Vice-président américain J.D. Vance à la Conférence de Munich
sur la sécurité le 14 février 2025[15], n’engendre pas pour autant un effort de défense uniforme en Europe. Il persiste un biais d’appréciation de la situation géopolitique de l’Europe, visible dans les dépenses disparates des pays européens en part du PIB en fonction de leur position géographique sur le continent. Ainsi, les pays les plus proches du front ukrainien, et donc de la menace d’agression russe, dépensent beaucoup plus à leur échelle que les pays tout à l’ouest ou tout au sud du Vieux continent : là où la Pologne mobilise plus de 4% de son PIB, les pays baltes entre 2,8 et 3,4 % ou encore la Grèce à plus de 3%, l’Irlande ne consacre que 0,2 % de son PIB à la défense, Malte 0,8 % ou encore l’Espagne seulement 1,28 %.

***

Si l’électrochoc a fonctionné pour une partie des pays européens dans les dépenses en matière de défense, les Etats ont la responsabilité de faire davantage et faire mieux pour assurer la défense du continent. Face aux tensions et menaces géopolitiques à plusieurs échelles, cette défense ne peut être assurée que par une augmentation encore significative des dépenses européennes en matière de défense, qui peut être portée et facilitée par les structures de l’OTAN et de l’UE. Cependant, face aux menaces qui pèsent sur l’Europe, les dépenses européennes en matière de défense devraient s’accompagner, comme le remarquait Michel Duclos lors du Colloque de la pensée militaire organisé par le Commandement du combat futur de l’Armée de terre française le 11 février 2025, d’une maximisation de l’influence française particulièrement, mais aussi des autres pays européens, au sein de l’OTAN, notamment sur le nucléaire, dans un contexte de désintéressement possible des Etats-Unis vis-à-vis de l’Alliance. La balle est jetée dans le camp de l’Europe : les pays européens se doivent d’être le plus nombreux possible à s’en saisir.

References[+]


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