Ce papier constitue un second volet de présentation des points clefs d’un rapport élaboré autour de la capacité d’influence de la France, au sein de l’association 3AED-IHEDN. L’auteur du présent papier s’intéresse à la zone Indopacifique, creuset d’opportunités pour l’économie planétaire, de tensions entre puissances, et à l’influence que la France peut y exercer. Le papier aborde ainsi les principales rivalités et risques de conflit dans cette zone, et l’impact de ces conflits, ouverts ou latents, sur les routes maritimes et, au-delà, sur l’économie mondiale. La question des alliances, et singulièrement de l’accord AUKUS, permet de faire retour sur la France et sur son positionnement en Indopacifique.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.
Les références originales de cet article sont : Michel Latché « La France et la zone Indopacifique », 3AED-IHEDN – Groupe de réflexion armement et économie de défense « La France et la zone Indopacifique », dans « L’influence pilier de la puissance au XXIème siècle ». Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de 3AED-IHEDN.
La zone Indopacifique correspond à un espace extrêmement étendu qui comprend d’une part des pays majeurs comme les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Japon ou l’Australie, mais aussi de nombreux micro-États dont l’importance économique est très faible, et qui peuvent faire l’objet de convoitises et de rivalités entre grandes puissances.
La France est le seul pays de l’Union Européenne à avoir conservé des territoires d’outre-mer significatifs dans cette zone. Il s’agit de Mayotte et de la Réunion dans l’Océan Indien, de la Nouvelle Calédonie, de Wallis et Futuna et de la Polynésie française dans le Pacifique, ainsi que l’Îlot de Clipperton et les terres Australes Françaises qui sont inhabitées. Cela représente un peu plus de deux millions de personnes et cela donne à la France la deuxième Zone Économique Exclusive du monde après celle des États-Unis. La présence de la France dans l’espace indopacifique lui donne des responsabilités que n’ont pas les partenaires de l’UE et cela la conduit à entretenir des relations diplomatiques plus spécifiques avec les pays de la zone et à maintenir une présence militaire. Elle est sensible par exemple aux avancées de la Chine en zone Pacifique. L’intérêt de la zone pour les autorités chinoises est évident. Les relations privilégiées qu’elle a développées récemment avec les îles Salomon et avec le Vanuatu en sont la preuve. Comme il ne s’agit pour l’instant du moins, en aucune manière, d’intervention militaire, c’est par d’autres moyens que la France doit en tenir compte et éventuellement les contrer. Il faut pour cela qu’elle entretienne de bonnes relations avec les pays indépendants de la zone et qu’elle protège ses intérêts ainsi que sa souveraineté en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Les principales rivalités et les risques de conflits dans la zone
La situation de Taïwan
La situation de Taïwan représente certainement le risque majeur de conflit en Indopacifique. L’île est en état de guerre avec la Chine depuis qu’elle a constitué le refuge des nationalistes de Tchang Kai-Check en 1949. Cette situation peut provoquer une escalade conduisant à un confit majeur car la Chine est fondamentalement attachée au concept de « Chine unique » et ne cesse de le répéter.
La position des États-Unis est ambigüe, même s’ils ne sont jamais allés jusqu’à souhaiter explicitement que l’île déclare son indépendance. A noter que les velléités d’indépendance affichées par le gouvernement de Taïpei ne sont pas forcément partagées par une population qui préfère conserver un statu quo à priori plus favorable aux échanges économiques avec Pékin. La guerre de l’information qui a sévi à l’occasion des élections à Taïwan en janvier 2024 reflète bien l’acuité des relations entre la Chine continentale et Taïwan. L’île a su brillamment développer son économie, en particulier dans le domaine des semi-conducteurs et on peut remarquer que, dans le plan des échanges économiques avec la Chine, ce sont les Taïwanais qui dominent.
Au plan stratégique, l’île de Taïwan constitue pour la marine chinoise un verrou entre l’archipel japonais au Nord et la succession des Etats philippin et indonésien au Sud, pour l’accès aux eaux profondes du Pacifique. Faire sauter le verrou taïwanais pour déployer directement ses forces navales en haute mer serait un succès très important pour le gouvernement chinois. Le déploiement de ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins remettrait en cause la domination actuelle des États-Unis.
Depuis 2020, et en réplique à la stratégie d’influence des Etats-Unis sur Taïpei, on constate une intensification des raids de l’aviation chinoise vers Taïwan à la frange de son espace aérien. La manifestation la plus menaçante a été en représailles de la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre américaine des représentants, le 3 août 2022.
La saisissante expansion chinoise
Considérée par les américains comme un rival économique redoutable et, à terme, comme une menace stratégique, la Chine a considérablement élargi son influence dans la région au cours des dernières décennies. L’économie de la Chine au niveau des marchés d’échanges est en train de dépasser celle des Etats-Unis, mais il y a des limites à la progression qu’elle essaye de maintenir : elle a, en fait, d’importantes difficultés internes, et en particulier démographiques.
Sur le plan militaire, la Chine a remarquablement modernisé et étoffé sa marine et pratique la projection de ses forces dans le monde (la Chine est présente, entre autre, à Djibouti et en Méditerranée). Ses routes de la soie terrestres et maritimes visent à gagner le cœur de l’Europe, à encercler l’Inde et à s’appuyer sur la corne de l’Afrique. Pékin a surtout bénéficié du brutal retrait américain du « Transpacific partnership » (TPP). Aujourd’hui la Chine parvient à séduire des micro-Etats en Océanie. Son intention est de limiter l’influence australienne ainsi que l’influence française et de constituer peu à peu un front anti-taïwanais dans le Pacifique.
Xi Jimping ne cache plus sa volonté de sanctuariser la mer de Chine orientale, la mer de Chine méridionale, et leurs détroits ; la montée en puissance de sa marine de guerre va dans ce sens. Pékin étend son influence en mer de Chine méridionale, annexant des îlots pour les transformer en bases militaires dans le but de pouvoir revendiquer une plus large zone économique exclusive (ZEE). Son domaine maritime s’étend désormais aux îles Spratley et Paracels, empiétant sur les ZEE des pays riverains (Vietnam, Philippines, Malaisie). La Chine, en réalité, cherche à étendre son influence jusqu’au détroit de Malacca. Cette stratégie d’extension de la zone économique, en annexant et militarisant des îlots, met la Chine en conflit principalement avec la Malaisie, Taïwan, le Vietnam et les Philippines. Des accrochages ont lieu régulièrement en mer, notamment entre les marines chinoise et vietnamienne.
Les Etats-Unis se préparent à un affrontement avec la Chine dans le cas où celle-ci tenterait de reconquérir Taïwan par la force. Compte tenu de la situation, Tokyo dit aujourd’hui qu’il a besoin d’appui, en particulier l’appui de l’OTAN, contre la menace chinoise ; il affirme que « la sécurité de l’Europe et de l’Indopacifique sont indissociables » et la dernière mise au point d’un texte commun affirme que « L’OTAN pourrait envisager de fournir des moyens pour les exercices japonais dans la région indopacifique où la participation de l’OTAN serait appropriée ».
Les deux Corées
La guerre de Corée s’est déroulée de 1950 à 1953 mais l’armistice de Panmunjon n’a cependant débouché sur aucun traité de paix. Les deux Corées sont toujours « techniquement en guerre ». Il y a des forces américaines stationnées en Corée du Sud et la Corée du Nord est détentrice de l’arme nucléaire et possède les vecteurs capables de la transporter.
Ni la Chine, ni le Japon n’ont intérêt à voir dans leur voisinage une Corée réunifiée de près de quatre vingt millions d’habitants et détentrice de l’arme nucléaire.
Au cas où les hostilités reprendraient, il est difficile de dire quels pays y participeraient, mais la Chine et les Etats-Unis y seraient sans doute impliqués. Elles pourraient conduire à une confrontation majeure, éventuellement nucléaire. Il s’agit d’un point chaud, très chaud même. Le déclenchement d’un conflit y serait extrêmement grave, catastrophique peut être, la France n’y participerait cependant pas, sauf développement d’une confrontation mondiale. Ce risque de confrontation qui vient s’ajouter à la situation de Taïwan précédemment décrite incite le Japon, pays resté résolument pacifiste depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à se réarmer. Il dispose maintenant du troisième budget de défense après les Etats-Unis et la Chine.
Le Cachemire, territoire revendiqué à la fois par l’Inde et le Pakistan
Le différent entre le Pakistan et l’Inde porte sur un territoire où vivent près de quatre millions d’habitants et qui a été la cause de nombreux incidents de frontières et de nombreux attentats. Il a été à l’origine de l’une des guerres indo-pakistanaise. On admet généralement que le fait que l’Inde et le Pakistan soient aujourd’hui tous deux détenteurs de l’arme nucléaire a pour effet de geler la situation et d’empêcher l’extension des incidents qui n’ont pas cessé.
La France n’a aucune raison de se mêler de ce différend et elle a intérêt à conserver les meilleures relations possibles avec les deux pays.
Le Cachemire est donc indiscutablement un point chaud de l’Indopacifique, mais la France n’y détient aucun intérêt particulier, et s’il s’y déclenchait un conflit ouvert, elle n’aurait aucun moyen d’intervention. La Chine d’une part, les Etats-Unis d’autre part sont les seuls ayant une influence réelle dans le sous-continent.
L’impact des conflits en Indopacifique sur la sécurité des routes maritimes et l’économie mondiale
Le détroit de Malacca
Il s’agit d’un couloir maritime situé entre la péninsule malaisienne et l’île indonésienne de Sumatra, reliant le détroit de Singapour à la mer de Chine et l’océan Pacifique au sud-est et à l’océan indien au nord –ouest. Sa longueur est d’environ 850 km et sa largeur varie de 50 à 350 km, avec un resserrement de 38 km dans sa partie la plus étroite.
L’intérêt économique de ce détroit est très important au plan mondial puisqu’il est traversé par deux routes maritimes majeures à savoir : la route qui relie l’Europe à la mer de Chine méridionale par le canal de Suez et la mer Rouge, et la route qui relie le Moyen-Orient à l’Asie par le golfe persique et le détroit d’Ormuz.
Entre le tiers et la moitié des flux mondiaux de marchandises transitent par ce détroit, soit près de 90 000 navires par an. Concernant la Chine, le détroit concentre 90% de son trafic maritime et les trois quarts de son approvisionnement pétrolier. La situation est comparable pour le Japon dont l’essentiel de ses importations de matières premières et de ses exportations de produits manufacturiers y transitent.
La réalité de ces flux se caractérise aussi par deux spécificités :
- Une concentration des plus grands ports à conteneurs d’Asie du Sud-est avec à son entrée, Singapour qui est le deuxième port à conteneurs du monde, après celui de Shanghaï ;
- Le détroit est un centre névralgique de raffinage du pétrole alimentant une grande partie du Sud-est asiatique.
De part sa localisation, le détroit constitue aussi un pivot de commerce régional. Ainsi, les porte-conteneurs côtoient les bateaux de pêche ainsi que les ferries de passagers effectuant des déplacements privés ou professionnels entre les différents archipels qui bordent le détroit.
Le détroit de Malacca est un véritable goulet d’étranglement. Ainsi, l’intensité du trafic maritime est son principal vecteur de tensions. Celles-ci sont d’abord environnementales avec la pollution atmosphérique générée par le trafic et, en conséquence, la réalité des risques de collision ou d’échouage générés par une visibilité parfois réduite. Si le risque de piraterie est lui aussi bien réel, celui du terrorisme islamiste a surgi ces dernières années, ce qui a amené les Etats riverains et les Etats utilisateurs à s’interroger sur les moyens à mobiliser pour y répondre.
A la suite de la conférence de Montego Bay en 1982, le statut juridique du détroit a été clarifié entre les quatre Etats frontaliers à savoir : la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande et Singapour. Il ne s’agit pas d’un détroit international où prévaut la liberté de circulation ; néanmoins les Etats riverains se doivent d’autoriser, sauf cas de force majeure, le passage des navires en transit. Pour cela, des couloirs de circulation ont été définis et la coopération entre les quatre Etats s’exprime aujourd’hui par la mise en place d’une patrouille de surveillance mise en œuvre par les marines de la Malaisie, de l’Indonésie et de Singapour.
Cette volonté de coopération entre les Etats riverains se doit aussi de répondre à la volonté d’ingérence des Etats utilisateurs (principalement la Chine, l’Inde, le Japon et les Etats-Unis) pour lesquels le détroit est d’un intérêt vital pour le bon fonctionnement de leurs économies. Elle pose aussi la question de la couverture des coûts générés par le transit des navires (coûts environnementaux, sécuritaires…). Les Etas riverains ne souhaitant pas perdre leur souveraineté sur le détroit, il appartient désormais à l’Organisation maritime internationale (OMI) de trouver un compromis entre Etats riverains et Etats utilisateurs sur le financement de ces besoins.
Le Golfe persique
Le Golfe persique est d’abord un lieu de déchargement d’une quantité de denrées provenant d’Asie et à destination du Moyen-Orient. C’est surtout un lieu de chargement de pétrole et de gaz. Les hydrocarbures représentent de l’ordre de la moitié du PIB des pays riverains du Golfe et le tiers de la production mondiale de pétrole provient de ces pays. C’est aussi là que se trouvent les réserves pétrolières les plus importantes. Autant dire que si le commerce de tous les pays riverains de l’Océan Indien et de l’Océan Pacifique dépendent de la navigation dans l’Indopacifique, c’est, pour ce qui est du Golfe persique, le commerce d’une ressource énergétique vitale pour l’Europe et l’Asie.
Or la zone est loin d’être calme. C’est entre deux pays du Golfe que s’est déroulée la guerre Iran-Irak sans oublier les deux « Guerres d’Irak » en 1991 et 2003, la première étant déclenchée par l’invasion d’un autre pays du Golfe : le Koweït. Les monarchies pétrolières qui bordent la rive occidentale du Golfe battent des records de production d’hydrocarbures et, partant, de richesse. Ce sont aussi aujourd’hui des métropoles financières (Dubaï) et même un acteur de la diplomatie internationale (le Qatar). Enfin l’un de ces pays, l’Arabie saoudite est en guerre au Yémen, entraînant derrière elle les Emirats Arabes Unis et l’Egypte. Le cas du Yémen est un cas à part depuis que les Houthis se sont attaqués à des navires (y compris récemment à une Frégate française) utilisant ces voies d’eau internationales que sont la rive indopacifique et la Mer Rouge, poussant à des détournements de navires par le Cap de Bonne Espérance, malgré le coût.
Plus qu’un simple « point chaud » le Nord de l’Océan Indien, le Golfe persique et la Mer rouge sont donc devenus des étapes dangereuses de la route indopacifique. Ce sont d’ailleurs aujourd’hui les seules routes pratiquées car, pour l’instant, la route de l’Indopacifique est restée, malgré les guerres survenues dans les pays qui la bordent, une route maritime « relativement » paisible. Si cette situation devenait menacée (et aujourd’hui en 2024 elle l’est), les conséquences sur le commerce et l’économie mondiale, et notamment de l’Europe, seraient considérables.
La France est particulièrement présente dans la zone (ou au voisinage de celle-ci) en effet, elle est aux Emirats Arabes Unis et à Djibouti. Les forces françaises sont conséquentes : les 1500 militaires présents à Djibouti représentent la plus importante implantation militaire française en Afrique. Aux Emirats Arabes Unis, ce sont 650 militaires qui sont présents et l’amiral en charge de la zone maritime de l’Océan Indien (ALINDIEN) est en poste à Abou Dhabi. Ces éléments montrent l’importance déjà accordée par la France à la zone Indopacifique, importance qu’il serait bon que l’Union européenne lui accorde également.
Le détroit du Mozambique
Il s’agit d’un bras de mer situé dans l’Océan Indien occidental, bordé par le Mozambique, Madagascar, l’archipel des Comores et la France via Mayotte et quatre des cinq îles Eparses. Le Canal s’étire sur 1600 km du Nord au Sud. Sa largeur est de 419 km dans sa partie la plus étroite et ses eaux profondes en font un corridor maritime d’importance.
Le canal est redevenu stratégique pour le commerce mondial dans la mesure où, dans un contexte d’augmentation des menaces au Proche et Moyen-Orient, il permet l’exportation du pétrole du Moyen-Orient vers l’Europe et l’Amérique. Ainsi, plus de 5000 navires par an, soit 30% du trafic pétrolier maritime, transitent par ce détroit.
Comme l’a montré en 2020 l’échouage de l’ « Ever Green » dans le canal de Suez, cette route maritime deviendrait absolument stratégique en cas de fermeture volontaire ou accidentelle du canal, notamment pour le trafic d’hydrocarbures en provenance du Moyen-Orient.
A cet aspect marchand s’ajoute un intérêt économique propre et soumis à un véritable enjeu environnemental se caractérisant par la présence de ressources naturelles :
- des ressources halieutiques abondantes faisant notamment l’objet de surpêche de la part de navires chinois ;
- des réserves en hydrocarbures offshore, découverts au large du Mozambique au début des années 2000, suscitant l’intérêt de grands groupes pétroliers, dont celui de Total Energies et de très probables gisements d’hydrocarbures et de métaux rares en eaux profondes.
Le premier risque identifié est la faiblesse des régimes au pouvoir au Mozambique, aux Comores et à Madagascar. Cette situation crée un vide sécuritaire propice aux actes de piraterie et à des activités de pêche illicites en mer et, plus récemment, à des actions terroristes djihadistes à terre ayant notamment conduit à l’évacuation de la base logistique de Total Energies à Palma en mars 2021.
La France dispose dans le détroit d’une ZEE de plus de 360 000 km2 et 1,2 millions de français vivent à Mayotte et à la réunion. Elle doit en conséquence assurer une présence militaire significative pour la sécurité de ses concitoyens. A Mayotte, elle se caractérise par une base navale ou sont déployés un détachement de la Légion étrangère et des navires pouvant assurer le contrôle et l’assistance à des navires en difficulté. A la Réunion, la base navale qui est installée représente le troisième port militaire français et concentre l’essentiel des moyens militaires de la France dans la zone Sud de l’Océan Indien.
Alliance dans la zone Indopacifique, le pacte AUKUS
Historique et conséquences du pacte AUKUS
Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont signé en septembre 2021 un accord de coopération militaire désigné AUKUS (abréviation de Australia, United-Kingdom, United-States).
Pour l’Australie, cet accord a été passé dans le but de se doter d’une flotte de sous-marins nucléaires de haute technologie pour remplacer ses sous-marins à propulsion diesel. La concrétisation de cet accord a ravivé les tensions entre la Chine et les États-Unis.
La signature du pacte AUKUS manifeste un changement radical de la politique de Camberra vis-à-vis du nucléaire.
Le développement de cette alliance pourrait pousser plusieurs pays à changer de doctrine pour s’équiper eux aussi de sous-marins à propulsion nucléaire.
Les raisons ayant conduit à la signature de cet accord
Il paraît évident que cet accord a été signé essentiellement pour répondre à la menace croissante que représente Pékin pour les signataires. Une fois pourvue de sous-marins nucléaires à long rayon d’action et extrêmement discrets, l’Australie pourra jouer un rôle plus actif dans la région avec les autres membres du QUAD (dialogue quadrilatéral pour la sécurité entre l’Inde, l’Australie, les Etats-Unis et le Japon). La concrétisation de cet accord a eu également pour conséquence l’annulation par Cambera du contrat d’acquisition de douze sous-marins français, ce qui a rendu le gouvernement français « furieux ».
L’accord AUKUS complique la capacité chinoise à projeter sa puissance navale et à prendre le contrôle de lignes de communication essentielles. On peut considérer également qu’il met un frein aux futures volontés chinoises d’intimider les pays voisins pour les persuader d’adopter des positions plus accommodantes. Il s’agit en somme, de décourager et d’empêcher toute prétention chinoise à l’hégémonie régionale.
L’aspect nucléaire de l’accord
Le président américain et les Premiers ministres britannique et australien ont bien précisé que l’accord ne prévoyait des transferts technologiques que sur la propulsion et que les nouveaux sous-marins ne seraient pas dotés d’armes nucléaires.
Cependant, les systèmes de propulsion des sous-marins américains nécessitant de l’uranium hautement enrichi, l’Australie va désormais avoir accès à cette technologie.
Les réactions des pays voisins de l’Australie
L’accord prévoyant d’équiper l’Australie en sous-marins à propulsion nucléaire a pris les pays voisins par surprise et sème le doute. La région Asie-Pacifique, historiquement très marquée par les essais atomiques, est très attachée à la non utilisation du nucléaire aussi bien militaire que civile. L’anxiété est vive, particulièrement en Malaisie et en Indonésie qui craignent qu’un affrontement se prépare avec la signature du pacte AUKUS, et beaucoup pensent qu’il n’y a pas d’acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire sans perspective d’acquérir l’arme nucléaire ultérieurement.
La position de la France
La France a-t-elle une carte à jouer dans ses relations diplomatiques avec les Pays du Pacifique ?
La France a certes procédé à des essais nucléaires dans le Pacifique. Mais d’une part elle a su renouer aujourd’hui de bonnes relations avec les pays de cette zone grâce à sa présence en Nouvelle Calédonie et en Polynésie, et d’autre part, elle n’est pas liée par des accords type AUKUS ce qui lui permet d’avoir une politique spécifique et plus indépendante.
Elle pourrait aujourd’hui profiter de cette situation pour nouer des relations plus étroites avec les pays de cette zone en général et la Nouvelle Zélande en particulier. Dans le cas de l’Australie, c’est plus délicat, mais les choses peuvent évoluer avec le temps d’autant plus qu’il vient d’avoir un changement du Premier ministre australien.
Conclusion
On peut dire que dans la zone Indopacifique les points chauds ne manquent pas. La menace chinoise d’une part, le conflit inabouti entre les deux Corées d’autre part sont les seuls éléments qui, à priori, peuvent dégénérer en conflit ouvert majeur, mais la France n’y serait vraisemblablement impliquée qu’indirectement.
La volonté de la Chine de s’implanter durablement et militairement dans le Pacifique touche la France de plus près mais ne risque guère de déboucher sur un conflit armé pour lequel d’ailleurs la France ne pourrait compter que sur des forces militaires tout à fait insuffisantes. La France doit donc s’associer à toute action pouvant dissuader la Chine d’intervenir militairement.
Enfin les incertitudes ne manquent pas : actions de la Chine, augmentation du budget du Japon, attitude de la Corée du Nord et réactions de la Corée du Sud, politique régionale de l’Inde, prolifération nucléaire (Iran) et évolution éventuelle de la position américaine sujette à des variations imprévisibles avec la prochaine élection présidentielle de novembre 2024.
La principale de ces incertitudes est le devenir de la relation Chine-USA, au-delà de la question de Taïwan. Selon qu’un modus vivendi sera trouvé ou que les points de friction dégénèreront en risque et en menaces puis, éventuellement, en conflit ouvert, c’est toute la zone qui évoluera, en bien ou en mal. La France n’est directement partie prenante dans aucun conflit de quelque manière que ce soit. Elle est par contre dépendante, comme presque tous les pays du monde et notamment comme les autres membres de l’Union européenne, du trafic maritime qui emprunte la zone et ses détroits.
La présence militaire de la France dans la zone est très réduite. Elle lui permet cependant
- de participer à des actions de surveillance, de protection des Zones Economiques Exclusives ou de secours en mer ;
- de marquer sa présence notamment en participant à des exercices communs avec les pays et/ou les organisations régionales ;
- d’assurer un secours aux populations qui subissent des évènements climatiques majeurs.
Une augmentation significative de sa présence ne lui permettrait pas d’intervenir seule dans une opération militaire majeure mais lui donnerait la possibilité d’y tenir une place plus importante. Le minimum serait de renouveler sa flotte vieillissante de frégates de surveillance. Ce serait ensuite le rôle d’un « deuxième » porte-avions de lui donner la possibilité d’intervenir à tout moment, que ce soit en zone indopacifique ou ailleurs dans le monde.
La France a enfin d’autres atouts qu’elle doit utiliser et renforcer :
- ses bonnes relations avec de nombreux pays de la zone ; elle ne doit en privilégier aucune et renforcer sa présence dans les instances multilatérales concernées
- son influence appuyée sur sa langue, ses capacités industrielles, scientifiques et techniques, notamment dans l’étude du changement climatique et de ses conséquences, dans l’étude de l’évolution de la biodiversité et dans l’exploration des fonds marins.
Elle doit essayer d’en tirer le meilleur parti et aura besoin pour cela d’étoffer sa présence diplomatique.
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Par : Michel Latché
Source : L’Association des Auditeurs et cadres des sessions nationales "Armement & Economie de Défense" (3AED-IHEDN)