Éthique d’engagement et de devoir, place du droit, exigence d’exemplarité, force de la tradition… L’auteur nous livre sa vision des valeurs portées par le monde militaire.
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Vous aviez dit, lors d’une interview sur France Culture, “C’est dans les univers contraints que souffle un fort vent de liberté intérieure”. Pourriez-vous nous en parler un peu plus longuement ?
Je ne parlais évidemment pas de tous les univers contraints et par exemple, s’agissant de la prison, le propos serait largement indécent, même s’il est sûr que l’enfermement a produit directement ou indirectement de grands livres comme « Suerte » de Claude Lucas ou du temps du bagne « La vie des forçats » d’Eugène Dieudonné, sans parler de Latude, de Charrière ou de Jean Genet. Je parlais plutôt des univers contraints que l’on a choisis, par engagement, l’armée en premier lieu. D’abord parce que, quels qu’en soient les motifs, l’engagement libère, surtout l’engagement au service de l’intérêt général. Il libère de la préoccupation exclusive de soi. Ensuite parce que d’une manière mystérieuse et très bien décrite par T.E Lawrence, la dépossession extérieure de soi qui résulte de l’ordre hiérarchique entraîne comme par compensation le développement d’une sorte de fantaisie intérieure et ramène par là à l’essentiel. C’est une expérience que l’on voit bien décrite chez un grand nombre d’écrivains qui ont servi sous les armes.
Quel regard portez-vous sur la gendarmerie ? Sur ce qu’elle peut représenter aujourd’hui en termes de valeurs ?
Au risque de vous étonner, je dirais que je porte d’abord sur elle un regard sentimental. La gendarmerie fait partie de notre patrimoine historique, pas seulement à cause de cette singularité française d’une double force de police, civile ou militaire. Cela va du petit, les gendarmes à bicorne de l’Empire que l’on voit, hélas pas toujours à leur avantage, dans le merveilleux Vidocq de Marcel Bluwal, au grand, l’extraordinaire figure de l’officier de gendarmerie de Manosque dans les « Récits de la demi-brigade » de Jean Giono. Je parle là bien sûr des représentations, pas des grandes figures historiques de la gendarmerie. Mais je porte aussi sur la gendarmerie un regard plus civique. Au fond, l’un des problèmes centraux d’une démocratie, prise au sens d’un état de droit, c’est la combinaison de la loi et de l’ordre. C’est « l’obéissance à la loi » que l’on trouve inscrite après la devise républicaine sur certains drapeaux de la période révolutionnaire. À cette combinaison la gendarmerie a donné une forme, une pratique originale, à cause de son statut militaire et des principes de comportement qui lui sont nécessairement rattachés. Ce statut me paraît être en lui-même un garde-fou, entrés que nous sommes dans une période où, en particulier en matière de sécurité, une large partie de la population comme de la classe politique a tendance à penser que la fin justifie les moyens.
Parmi les valeurs propres au Gendarme, on cite souvent l’exemplarité. Car il est immergé dans la population, plus que la majorité des militaires, il doit l’être encore plus ?
Sûrement pas « encore plus », à mon sens. À chaque mission militaire, au fond, correspond une exigence d’exemplarité qui lui est propre. L’exemplarité d’un membre des forces spéciales, celle d’un légionnaire ou d’un artilleur, ne se ressemblent pas et sont distinctes de celle demandée à un gendarme. Au fond, il ne s’agit de rien d’autre que de faire honneur à l’uniforme que l’on porte et qui nous permet de bien agir dans le présent parce que nous sommes tenus par le poids de toute une tradition, manifestée par exemple par l’apparence vestimentaire, les signes extérieurs.
Le statut militaire est-il important ? Le gendarme est-il un militaire comme les autres ?
Je crois qu’il faut avoir là-dessus une sorte de sagesse historique. En théorie, il n’y a pas besoin de militaires pour le maintien de l’ordre, la police administrative ou la police judiciaire. La gendarmerie est d’ailleurs une singularité française. Mais en pratique, surtout dans une époque troublée, on voit bien ce que la tradition militaire, ce qu’elle comporte de dépassement de soi, de réserve, d’obéissance librement consentie, de sérieux aussi dans le recrutement et dans l’entraînement, apporte, en matière de répression, au corps social tout entier. Elle constitue à cet égard une sorte de garantie paradoxale des libertés publiques.
Les notions de devoir et de sacrifice ont été rappelées par le Directeur Général de la Gendarmerie, le Général d’armée Christian Rodriguez. Que vous inspirent-elles ?
À l’évidence le plus grand respect. À condition, si vous me permettez un peu de malice, de leur adjoindre aussi la notion de succès, telle qu’elle est rappelée dans la belle formule des passations de commandement. Le devoir et le sacrifice seuls peuvent entraîner au « beau geste ». Mais les militaires français n’ont pas nécessairement une vocation de samouraïs. Ce que la nation leur demande, c’est d’abord de réussir dans les missions que le gouvernement leur confie.
“Pour la patrie, l’honneur et le droit”, est la devise de l’arme. Comment résonne-t-elle aux oreilles du juriste académicien et légionnaire que vous êtes ?
Au fond, cette belle devise pourrait être, au-delà de la gendarmerie, celle de tous les hommes de bonne volonté : La patrie, dont nous avons collectivement hérité, le sentiment de l’honneur qui laisse chacun seul face à sa conscience et enfin le droit, sans lequel il n’y a plus que vengeance, sauvagerie, règne du plus fort.
Par : François SUREAU
Source : Centre de Recherche de l'Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale
Mots-clefs : droit, engagement, éthique, valeurs