Édito n° 116/37 du 16 octobre 2024

« La guerre est le domaine de l’incertitude […]. Plus qu’en n’importe quel domaine, il faut qu’une intelligence subtile et pénétrante sache y discerner et apprécier d’instinct la vérité. » Carl von Clausewitz, général et stratégiste prussien (1780 - 1831), in « De la guerre »

De ripostes en ripostes : un engrenage incontrôlable entre Israël et l’Iran ?

Les frappes menées par l’Iran sur Israël, le 01 octobre 2024, signent une nette escalade dans le conflit qui oppose les deux états. Celles lancées par Téhéran le 13 avril dernier avaient intentionnellement été annoncées, et largement appuyées sur des vecteurs relativement aisés à intercepter. Les frappes du 01 octobre ont en revanche été déclenchées sans préavis, au moyen unique de missiles balistiques dont certains ont pu toucher ou approcher leurs cibles au sol. Au vu des dégâts provoqués, le bilan est « miraculeux ».

Israël, par la voix de son ministre de la défense, a annoncé que la riposte à cette attaque serait « létale, précise et particulièrement surprenante ». L’Iran s’est empressé, par celle de son nouveau président, de déclarer qu’il ne cherchait pas la guerre, mais en promettant « une réponse plus forte » en cas de représailles de l’état hébreu.

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L’effet recherché par Téhéran semble clair. L’attaque du 01 octobre souligne une montée en gamme offensive délibérée. Cette attaque semblait pourtant ne plus devoir intervenir, après les menaces non suivies d’effet proférées au lendemain du ciblage mortel d’Ismaël Haniyeh, en plein cœur de la capitale iranienne, le 31 juillet dernier. Mais les frappes menées par Tsahal sur les proxys de l’Iran, et en particulier la décapitation de la direction du Hezbollah, ne pouvaient rester sans réponses, au risque d’ébranler le leadership et la crédibilité du parrain de « l’Axe de la résistance ».

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L’intensité de la confrontation entre Israël et la milice chiite libanaise va crescendo, multipliant les victimes collatérales au sein de la population libanaise. La FINUL dénonce des « violations choquantes » de la part des troupes israéliennes, et les nations contributrices ont exhorté à « protéger les casques bleus ». L’emploi d’une expression qui souligne peut-être le paradoxe du mandat d’une force militaire, qu’il faut prémunir contre des dangers qu’elle aurait vocation à dissuader, sinon à braver. Concomitamment, Tsahal doit à nouveau intervenir dans la bande de Gaza pour tenter d’empêcher la reconstitution des forces du Hamas, loin d’être éradiquées…

C’est dans ce contexte de forte dégradation que se pose, à l’heure où ces lignes sont écrites, la question des cibles que pourrait viser une riposte israélienne en Iran.

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La tentation peut être grande pour l’état hébreu de chercher à annihiler par la force le programme nucléaire d’un régime qui adosse son idéologie sur la haine d’Israël comme des Etats-Unis, le Petit et le Grand Satan. Une telle tentation est toutefois lourde de périls, au risque en effet de ne pouvoir détruire des installations profondément enterrées et fortement protégées.

Il ne faudrait ensuite à l’Iran que quelques jours pour produire l’uranium enrichi au pourcentage nécessaire à la fabrication d’une bombe nucléaire. Le pays des Mollahs semble en revanche plus éloigné de la capacité à aligner des ogives atomiques, disposant d’un dispositif de mise à feu fiable et éprouvé, et en quantité assurant une réelle dissuasion.

Il parait clair pour les Américains qu’une tentative de destruction des installations nucléaires iraniennes aurait donc très vraisemblablement des effets contraires à ceux recherchés : le maintien l’Iran en deçà de la capacité atomique, et de la possibilité de relancer un accord.

Si le programme nucléaire est écarté, les infrastructures pétrolières pourraient alors être visées par Israël, mais au risque d’une crise majeure sur les marchés mondiaux, sinon d’une riposte iranienne sur les installations des pays du Golfe. Ces derniers pressent d’ailleurs Washington de convaincre l’état hébreu de calibrer sa riposte, et de ne pas s’attaquer aux sites pétroliers iraniens.

Une autre option, peut-être également difficile à mener sur le plan opérationnel, consisterait à cibler la force qui constitue un des piliers du régime et de sa projection idéologique comme stratégique dans la région, le corps des Gardiens de la Révolution ou Pasdarans. Alors que le régime cultive, entretient un climat de guerre extérieure pour justifier l’exacerbation de la répression en interne, de telles frappes pourraient contribuer à l’affaiblir, sous réserve d’être menées en évitant d’infliger à la population iranienne des victimes collatérales.

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La région est déjà engagée dans une escalade guerrière, qui accroît l’isolement d’Israël sur la scène internationale, et y altère l’influence déclinante des Etats-Unis, et au-delà, de l’Occident.

L’annonce par Washington, le 13 octobre, du déploiement d’un système THAAD (défense antimissile à haute altitude) en Israël renforce la perspective d’une prochaine riposte sur le sol iranien. Une perspective qui assombrit encore davantage le sombre tableau que présente la région.

La riposte de l’état hébreu devra être empreinte de toute l’intelligence stratégique possible, pour rétablir sa marge de dissuasion et contribuer à affaiblir le régime des Mollahs, aux yeux de son peuple persécuté comme à ceux de ses voisins déstabilisés, sans l’acculer à entrer dans un engrenage incontrôlable !

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En ce mois d’octobre 2024, une nouvelle sélection de six papiers de réflexion stratégique vous est proposée.

Quel bilan de la politique étrangère de l’administration démocrate, à l’approche du scrutin présidentiel de novembre 2024 ? Le papier « L’administration BIDEN et le retour empêché des Etats-Unis à la primauté » aborde cette question de l’héritage de Joe Biden, au regard des ambitions initiales de son mandat et de sa propre longue expérience des affaires internationales. Maud Quessard s’intéresse ensuite à la question centrale du bilan Biden et du retour empêché des Etats-Unis à la primauté, au filtre des déterminants intérieurs. Elle analyse également les ambitions contrariées de la stratégie post-atlantique comme les défis posés par le « Sud Global » au leadership américain, sur fond de bouleversements majeurs du système international. Un papier issu de l’IRSEM.

A la veille des élections présidentielles américaines, le papier « Penser un Trump 2.0 : six scénarios de politique étrangère inquiétants pour un second mandat » envisage divers scenarii de politique étrangère des Etats-Unis. Des scenarii qui pourraient se concrétiser avec un retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Les six scenarii imaginés s’appuient sur la configuration de l’écosystème des penseurs républicains en politique étrangère entourant le singulier candidat du Grand Old Party. Pour Célia Belin, Majda Ruge et Jeremy Shapiro, trois groupes, trois « tribus » comptent et influent plus particulièrement au sein de cet écosystème. Trois groupes que l’on peut distinguer au regard de leur tropisme en matière de politique étrangère : les « restrainers » qui se focalisent sur les Etats-Unis, les « priotisers » qui se concentrent sur l’Asie, les « primacists » qui continuent à considérer un engagement international global. Un papier issu de l’ECFR.

L’Intelligence Artificielle (IA) s’immisce de plus en plus profondément et intensément au cœur des champs de batailles contemporains. Ce constat d’une IA de plus en plus présente, à mesure d’un tempo opérationnel allant crescendo, est à l’origine de ce papier « De l’Ukraine à Gaza : l’Intelligence artificielle en guerre ». Amélie Férey et Laure de Roucy-Rochegonde analysent la logique d’introduction de l’IA et des applications associées dans les affaires militaires, distinguant les cas des conflits en Ukraine et au Moyen-Orient. Cette analyse permet plus particulièrement d’identifier et d’évaluer les vulnérabilités que porte l’érosion du contrôle humain de l’emploi de la force. L’analyse permet ainsi de soulever la question de la place pour l’homme dans le processus de décision, et celles connexes de nature éthique et juridique. Un papier issu de la Revue Politique Etrangère de l’IFRI.

Les attaques menées par les rebelles Houthis en Mer Rouge et les réponses militaires décidées par divers pays occidentaux témoignent d’une montée des tensions dans la région et y soulignent une implication stratégique croissante. Le papier de Nour Kherraji, « Escalade des tensions en Mer Rouge, reflet des stratégies d’influence internationales », s’appuie sur la description factuelle d’attaques et de ripostes, pour brosser le contexte de la crise, tant aux plans local, régional qu’international. L’exposé de ces divers aspects permet de mieux distinguer et de sérier les enjeux au cœur de la crise, dans une approche également multiscalaire. Une crise qui s’avère le miroir de la redistribution de puissance sur la scène internationale. Un papier issu de la Bibliothèque de l’Ecole Militaire (BEM).

La montée du sentiment anti-France en Afrique souligne la complexité des relations entretenues entre l’Hexagone et les pays africains francophone. Dans un contexte de guerre de l’information qui s’exacerbe, le papier « La France face aux guerres de l’information : origines, mécanisme et instrumentalisation du sentiment « anti-France » » s’attache à éclairer cette relation complexe et ses dynamiques, au travers du prisme de la critique anti-France. Dian Bah y aborde les ferments de ce phénomène de rejet de la France, ses multiples dimensions, notamment économique, son instrumentalisation par divers acteurs aux agendas spécifiques, ses perspectives d’évolution. Un papier issu des Jeunes-IHEDN.

Le papier « La France et la zone Indopacifique » constitue un second volet de présentation des points clefs d’un rapport élaboré autour de la capacité d’influence de la France, au sein de l’association 3AED-IHEDN. Michel Latché s’intéresse à la zone Indopacifique, creuset d’opportunités pour l’économie planétaire, de tensions entre puissances, et à l’influence que la France peut y exercer. Le papier aborde ainsi les principales rivalités et risques de conflit dans cette zone, et l’impact de ces conflits, ouverts ou latents, sur les routes maritimes et, au-delà, sur l’économie mondiale. La question des alliances, et singulièrement de l’accord AUKUS, permet de faire retour sur la France et sur son positionnement en Indopacifique.

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Quelques mots pour vous confirmer la disponibilité de la vidéo des XIVème Assises Nationales de la Recherche Stratégique, « Imprévues, imminentes : thromboses 2030 ; Corridors & milices », qui se sont déroulées le jeudi 26 septembre 2024, au CNAM. La vidéo est accessible via le lien suivant.

Rendez-vous courant novembre 2024, avec une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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