Édito n° 113/34 du 26 juin 2024

« Se préparer à la guerre est le meilleur moyen de préserver la paix »
Georges Washington, homme d’état américain et premier président des États-Unis (1732-1799)

Alors que les regards sont tournés vers des échéances électorales inattendues et désormais imminentes, l’attention publique nationale portée aux conflits en cours, et en particulier au conflit en Ukraine, connait une subite éclipse.

Deux développements récents de la guerre entre l’Ukraine et la Russie méritent néanmoins que l’on y fasse retour, en se plaçant dans le cadre de la grammaire stratégique. Une grammaire caractérisée selon le général Durieux, par trois grandes dialectiques, trois grandes interactions dynamiques. Celle qui met en tension le temps présent et l’avenir. Celle qui relie les fins politiques avec les voies et moyens, militaires en particulier ; des voies et moyens toujours limités. Celle enfin qui confronte les projets, entre adversaires ou compétiteurs.

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La « ligne rouge » qui interdisait aux Ukrainiens d’utiliser les armes occidentales pour frapper en territoire russe était-elle inconsidérée ?

Cette « ligne rouge » visait à prévenir un risque d’escalade avec la deuxième puissance nucléaire planétaire, alors même que la Russie s’était d’emblée inscrite dans une démarche d’intimidation, avec l’ombre portée menaçante de ses armes atomiques. La « ligne rouge » a donc été levée, partiellement à n’en pas douter néanmoins, à la faveur de l’ouverture d’un nouveau front au printemps dernier, aux abords de Kharkiv. La ville est en effet soumise depuis lors au feu des armes russes placées de l’autre côté de la frontière.

Avec ce verrou levé, les Ukrainiens pourront, bien davantage qu’avec leurs seules propres armes, frapper dans la profondeur du dispositif russe. Outre la destruction de sites qui menacent directement les forces et les agglomérations ukrainiennes, ces frappes dans la profondeur sont de nature à limiter les capacités de régénération du front en troupes et en matériels, et à faire peser une insécurité accrue sur les arrières de l’armée du Kremlin. Sur le plan opératif, et alors que les armées de Kiev vont pouvoir bénéficier de davantage de munitions et d’armes, cette levée de restriction pourrait ainsi contribuer à desserrer l’étau du choc et du feu russes.

Certaines voix ont pu considérer que ce surcroît d’efficacité opérative attendu aurait, rétrospectivement, pu être anticipé par une levée des restrictions dès février 2022, en constatant que la riposte russe semblait se limiter à d’invariables menaces rhétoriques brandies par le président Poutine. Sur le plan stratégique, ne serait-ce toutefois pas faire fi du caractère intrinsèquement dialectique de la guerre ? Ce qui était peut-être inacceptable en février 2022 pour les protagonistes a pu devenir, sinon acceptable, du moins apparemment supportable, par le jeu de cette interaction entre adversaires. Si la dynamique propre au conflit a ainsi pu progressivement la décaler, la ligne de crête, entre canalisation de la guerre et risque de montée aux extrêmes, s’est vraisemblablement muée en fil de lame. D’autant qu’il y a peu de doute par ailleurs : Kiev, dont l’armée est en posture délicate et qui endure des frappes sur ses installations énergétiques et industrielles, n’hésitera pas à solliciter d’autres levées de « lignes rouges ».

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Du G7 au sommet pour la paix qui s’est tenu en Suisse à la mi-juin, les prémisses d’avancées politiques se mettent-elles en place ?

Le G7, qui a envisagé dans ses conclusions, la saisie et l’utilisation des recettes issues des actifs russes gelés pour financer le soutien à l’Ukraine, s’est également appliqué à préparer le sommet organisé au Bürgenstock. En amont de ce sommet où la Russie et la Chine n’étaient pas invitées, Vladimir Poutine avait énoncé les conditions russes pour que cessent les combats et que s’engagent des négociations. Des conditions repoussées par l’Ukraine qui a également énoncé, par la voix de son président, ses propres conditions. Les exigences sont de part et d’autre à ce jours inconciliables, entre d’un côté la volonté que les annexions des quatre oblasts orientaux et méridionaux de l’Ukraine soient entérinées et que ce pays devienne neutre, hors de l’OTAN, et de l’autre l’exigence d’un retrait total des troupes russes, de Crimée y compris.

La tenue de ce sommet de la paix en Suisse aura souligné, par la composition de l’assistance, et parmi elle, des pays ayant entériné la position énoncée par le président Zelenski, la perte d’influence occidentale sur le « Sud Global » (Paraphée par 79 États, la déclaration finale ne l’aura été par aucun des BRICS).

La tenue de ce sommet aura toutefois offert aux belligérants l’opportunité de placer la barre de leurs objectifs, de facto, au plus haut, et de prendre indirectement date. C’est en effet, à l’occasion d’un rendez-vous international, un énoncé, clair et public, de conditions visant explicitement à mener vers une solution politique. Il s’agit dès lors d’une indication sur la plausibilité de futures discussions entre les belligérants, sur des bases aujourd’hui maximales, et que la situation du terrain ne laissera pas d’impacter.

Des avancées politiques certes timides, mais qui outre leur caractère public, auront aussi vraisemblablement des incidences domestiques, et dans les deux pays. En Ukraine singulièrement, compte-tenu de l’ouverture de la société, la question des sacrifices consentis versus les résultats obtenus pourrait devenir un enjeu intérieur crucial. En Russie peut-être plus particulièrement, la question de la démobilisation et celle du contrôle des armements distribués aux combattants pourraient devenir aigues pour le pouvoir en place.

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Le 19 juin 2024, la Russie et la Corée du Nord mettaient en scène, en grande pompe, un accord de défense mutuelle historique, soulignant le risque croissant de coalition des contestataires à l’ordre international. Une illustration de la prégnance d’une âpre grammaire stratégique sur l’ordre du monde qui doit nous inviter, collectivement, à ne pas en détourner trop longtemps le regard !

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En ce mois de juin 2024, nous vous proposons une nouvelle sélection de six papiers de réflexion stratégique.

Un point d’interrogation inédit sur son cours, c’est ce qui pourrait affecter la politique étrangère des États-Unis selon le résultat de la prochaine élection présidentielle. Le papier « La politique étrangère américaine post-élection » souligne la relative prédictibilité d’une future présidence Joe Biden II et s’interroge en revanche sur les conséquences d’un éventuel retour de Donald Trump à la Maison blanche. La personnalité singulière du milliardaire newyorkais laisse quelques scenarii se dessiner selon Gideon Rose. Un papier issu de l’IRIS.

Les récents mouvements à la tête du ministère de la défense russe soulignent l’importance clef accordée par le Kremlin à l’industrie d’armement. Le papier « Quel état de l’industrie d’armement russe ? : le brouillard de la guerre » s’applique à éclairer une situation complexe et à évaluer l’état réel de cette industrie d’armement russe, alors que la guerre en Ukraine fait rage depuis plus de deux années et sollicite de façon accrue le complexe militaro-industriel. Isabelle Facon expose notamment comment cette industrie se relie aux circuits mondiaux, quels sont ces impacts et quelles sont les perspectives de développement induits pour l’économie russe. Un papier issu de la revue Défense & Industries de la FRS.

Que nous révèle le narratif développé par le Kremlin au lendemain des attentats sanglants du 22 mars 2024 perpétré à Moscou par l’État islamique-Khorasan ? Le papier de Diego Martin, « Attentat de Moscou : un révélateur des contradictions des mécaniques d’influence russe ? », nous rappelle les faits, nous brosse leur contexte et souligne les enjeux portés par un narratif manichéen qui peine à distinguer la menace singulière du djihadisme de la focalisation sur celle, existentielle, que représenterait l’« Occident collectif ». Un papier issu de la Bibliothèque de l’École Militaire (BEM).

Au cœur comme aux racines de la guerre Russie-Ukraine, la question du nucléaire, et latente, celle du différend territorial ? Le papier « Dénucléarisation de l’Ukraine dans les années 1990 : « Une crise passée totalement inaperçue » », sous forme d’entretien, revient sur une crise alors peu connue du public, mais aux défis déjà cruciaux pour l’Occident : le dossier nucléaire à la chute de l’Union soviétique, la question du contrôle de ces armes, et sous-jacente, celle des frontières entre l’Ukraine et la Russie. Hugues Pernet met en lumière les enjeux pour les occidentaux, la stratégie alors suivie, les mesures déployées, leurs portées et leurs limites. Un papier issu de l’IHEDN.

Le papier « Quelle Diplomatie pour le nouveau gouvernement de l’Inde ? » s’interroge sur la politique étrangère d’un nouveau gouvernement « Modi », une politique étrangère qui semble s’inscrire dans une vision trans-partisane d’une Inde plus influente sur la scène mondiale. Philippe Humbert souligne et développe les deux axes qui devraient continuer à structurer l’action diplomatique indienne, la défense des intérêts nationaux via le concept du multi-alignement » et une vision « révisionniste » de la nouvelle gouvernance mondiale, partagée à des degrés nuancés au sein des « BRICS plus ». Un papier issu de la Fondation Jean Jaurès.

Alors que la guerre de haute et de longue intensité sévit en Europe depuis plus de deux années, sur fond de tensions géopolitiques croissantes, le papier « Comprendre les racines de la guerre : entre passions et raison d’état » propose d’aborder avec recul et réflexion ce sujet de la guerre, de ses racines, de sa permanence. Une mise en exergue de la complexité des passions humaines et des raisons d’état proposée par Damien Verrelli, au travers d’une approche mêlant histoire et philosophie, pour éclairer cette question lancinante posée à l’humanité. Un papier issu des Jeunes-IHEDN.

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Quelques derniers mots pour vous confirmer que les XIVème Assises Nationales de la Recherche Stratégique, intitulées « Imprévues, imminentes : thromboses 2030 ; Corridors & milices », se tiendront le 26 septembre 2024, au CNAM. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés du sommaire et des intervenants de cette journée à laquelle vous pouvez d’ores vous inscrire via le lien : Assises nationales de la Recherche Stratégique 2024 (weezevent.com)

Rendez-vous courant juillet 2024, avec une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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