Édito n° 114/35 du 25 juillet 2024

« J’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon depuis que j’ai commandé une coalition. » Ferdinand Foch, Maréchal de France (1851 – 1929)

Une Alliance de 75 ans face à trois questions clefs ?

Le dernier sommet de l’Alliance atlantique, entre le 08 et le 11 juillet 2024, marquait le 75ème anniversaire de cette organisation, une exception historique au regard de la longévité d’alliances de défense comparables.

Comme le précisait Benoit d’Aboville dans un récent papier publié par la RDN, un des « secrets » de cette longévité tient aux qualités intrinsèques du traité de l’Atlantique nord. Un traité que ses concepteurs eurent la sagesse de faire clair et concis, d’une précision suffisante pour être fiable, mais sans pour autant énoncer des obligations strictes qui l’aurait rendu insupportable au Congrès américain. L’article V illustre tout particulièrement cette sagesse de conception et de rédaction.

Une Alliance de 75 ans qui pourrait toutefois entrer en zone de turbulences, au regard des enjeux majeurs que constituent les trois questions imbriquées, ukrainienne, américaine et chinoise.

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Le communiqué final du sommet utilise le terme « irréversible » pour qualifier la trajectoire de l’Ukraine vers une intégration « pleine et entière » à l’OTAN. Une expression forte, qui a fait l’objet in fine d’un accord entre les 32 partenaires. L’aboutissement de la « trajectoire irréversible » d’adhésion est toutefois lié à l’accord des alliés et à la réunion « des conditions » idoines. L’horizon de la « trajectoire irréversible » n’est donc pas fixé. A ce titre, le cas de la Géorgie reste à méditer. Plus aucune référence n’est en effet faite à une future adhésion de Tbilissi, pour faute de réformes inabouties et, vraisemblament, de « loi sur les agents étrangers ». La trajectoire d’adhésion effective de Kiev à l’OTAN pourrait-elle être demain occultée, pour servir de monnaie d’échange d’une possible négociation avec la Russie ?

Les alliés se félicitent des livraisons de nouveaux systèmes d’armes comme du soutien en formations accordés à l’Ukraine, que l’OTAN devrait désormais coordonner. Pour autant, la situation sur le terrain montre que cette assistance, essentielle à Kiev pour ne pas perdre la guerre, ne lui permet a priori pas d’envisager de la gagner. Une guerre de haute intensité que la Russie inscrit dans la temporalité longue d’une mobilisation sociale et économique que l’Ukraine et ses soutiens peinent à égaler. L’ambiguïté stratégique des Occidentaux, entre soutien lacunaire à Kiev et refus (temporaire ?) de négocier avec Moscou, semble d’abord jouer à l’encontre des objectifs de reconquête affichés par Kiev.

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Cette question de possibles négociations, en vue non pas d’une Paix, impossible à ce jour avec Moscou, mais à défaut d’un gel du conflit à la coréenne, sinon à la chypriote, est exacerbée par la perspective d’un possible changement d’administration aux Etats-Unis, à l’issue des élections de novembre prochain.

Les récentes et stupéfiantes péripéties de la campagne présidentielle outre-Atlantique, que ce soit la tentative d’assassinat du candidat et ex-Président Trump ou le retrait surprise du Président Biden de la course au Bureau Ovale, jettent indirectement un voile d’incertitude sur, non pas tant la pérennité de l’Alliance, que sur le niveau de fiabilité et de solidarité auquel les alliées pourraient prétendre.

Et comme souligné par le choix du sénateur J.D. Vance pour le ticket républicain, une Amérique dont la politique extérieure serait encore davantage indexée sur un principe de « America First » et menée par un président se targuant de régler le problème ukrainien « dans les 24 heures », pourrait réduire ou conditionner le soutien à Kiev à la tenue de négociations avec Moscou. L’invitation du président ukrainien, lancée mi-juillet à des « représentants russes » pour une prochaine conférence pour la paix, en novembre 2024, ferait-elle en partie écho à cette question américaine qui préoccupe l’Alliance ?

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La question chinoise prend également un relief accru au sein des préoccupations de l’Alliance. La Chine est expressément dénoncée, comme soutien matériel et politique de la Russie, également comme instigatrice d’actions hybrides malveillantes à l’égard des pays de l’Alliance, et de surcroit, pour la situation en Indopacifique et ses « incidences directes sur la sécurité euro-atlantique ». La coopération accentuée avec l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée-du-sud met en exergue une double exposition, celle de la relation transatlantique à la polarisation des relations internationales autour de la rivalité Etats-Unis – Chine, et celle des pays européens à un alignement sur la position américaine en Indopacifique.

Au moment où l’Alliance renforce les liens de partenariat avec des voisins de la Chine, celle-ci n’a pas manqué l’occasion de lui adresser un signalement stratégique, avec la tenue inédite d’exercices militaires conjoints aux portes de l’Europe, en Biélorussie. La Biélorussie, qui a rejoint dernièrement l’Organisation de Coopération de Shangaï, un bloc que la Chine transformerait bien en pendant oriental de l’OTAN. Mais un bloc qui reste bien plus hétérogène que l’Alliance atlantique. Un bloc qui s’avère traversé de tensions, comme entre Pékin et New Dehli, ou encore entre cette dernière et Islamabad.

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La voix de la France, entrée en phase d’instabilité politique, pourrait décliner au sein d’une Alliance atlantique également entrée en zone de turbulences. Une Alliance atlantique qui s’avère toutefois un levier unique d’influence militaro-industriel des Etats-Unis et un irremplaçable instrument d’interopérabilité entre alliés. Des caractéristiques clefs qui devraient assurer la pérennité de l’OTAN, en dépit de ces turbulences, notamment générées par les trois questions imbriquées, ukrainienne, américaine et chinoise.

Et à la différence de Foch, commandant d’une coalition réunie pour le temps limité d’un conflit, la permanence d’un officier américain au poste de Commandant suprême des forces alliés en Europe (SACEUR) illustre tout particulièrement la position de leadership immuable et incontestable des Etats-Unis au sein de l’OTAN !

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En ce mois de juillet 2024, nous vous proposons une nouvelle sélection de six papiers de réflexion stratégique.

L’Océanie serait-elle un angle mort de la stratégie indopacifique des Etats-Unis ? Le papier « Les États-Unis de Joe Biden et le reset manqué de la primauté en Océanie » s’intéresse à la récente réorientation de la politique extérieure américaine menée par l’administration Biden dans cette région. Maud Quessard souligne les enjeux de cette réorientation, sur fond d’accentuation de l’influence diplomatique comme de la menace stratégique chinoises. Une « reconquête » qui devra conjuguer sécurité et économie, dans une région fragilisée par les changements climatiques. Une « reconquête » qui pourrait pâtir d’un éventuel changement d’approche à la Maison Blanche, début 2025. Un papier issu de la revue RDN.

Alors que le dernier conflit entre Israël et le Hamas perdure depuis plus de neuf mois désormais, ce papier, « Israël-Palestine : une seule solution, les deux États », place la solution d’un partage territorial en deux états, comme seule perspective de paix, difficile mais inévitable. Élie Barnavi souligne comment, de la fin des années 30 du XXème siècle au 07 octobre 2023, cette solution à deux états traverse le tumulte de l’histoire régionale pour s’avérer comme un horizon incontournable. Il souligne également le besoin impérieux d’une ferme intermédiation internationale pour surmonter les multiples obstacles de la solution à deux états. Un papier issu de la revue Politique Etrangère de l’IFRI.

Le retour de la guerre de haute et de longue intensité aux portes de l’Europe souligne les carences capacitaires et industrielles de l’UE, en termes de sécurité. La période de quasi-addiction à la protection américaine pourrait bien s’achever encore plus vite, avec non seulement la bascule amplifiée vers le Pacifique, mais également avec l’avènement envisageable d’une nouvelle présidence Trump. Le constat et les développements de ce papier de Camille Grand, « Défendre l’Europe avec moins d’Amérique », sonnent comme des enjeux et défis clefs, désormais incontournables. Un papier issu de l’ECFR.

Dans un contexte sécuritaire sous tension, et alors que la Hongrie préside le Conseil de l’Union européenne pour six mois depuis le 01 juillet 2024, les conséquences des dernières élections européennes impactent tant la situation domestique que le positionnement international de l’UE. Avec le papier « Les droites au Parlement européen : Le pari réussi de Viktor Orban », Joséphine Staron aborde tout à tour ces différents aspects, et souligne les lignes stratégiques qui les sous-tendent. Un papier issu de Synopia.

Le papier, « Un “commissaire chargé des questions de défense” (Réformes institutionnelles et réflexions à partir du Traité CED) », fait écho à une proposition de campagne de la Présidente de la Commission d’envisager la création d’un Commissaire chargé des questions de défense. Luigi Gianniti entend s’appuyer sur le précédent du traité de la Communauté Européenne de Défense de 1952, refusé alors par l’Assemblée nationale française, pour explorer la faisabilité de ce qui constituerait un surcroit majeur d’intégration au sein de l’Union. Alors que la fiabilité, la pérennité et la portée du parapluie américain sont questionnées, l’analyse proposée s’avère une contribution particulièrement intéressante au débat sur la sécurité européenne. Un papier issu de la Fondation Robert Schuman.

Janus aux deux visages, souriant et grimaçant ; le numérique exprime singulièrement cette dualité intrinsèque à la technologie. Le papier « Plateformes alternatives et désinformation : Odyssee, un angle mort du Digital Services Act » explore les failles d’une réglementation européenne, le Digital Services Act, visant à réguler et à limiter la désinformation sur les réseaux sociaux. Dusan Bozalka souligne plus particulièrement le rôle que jouent les plateformes dites alternatives, revendiquant une offre plus ouverte tout en se faisant le Cheval de Troie de contenus extrémistes, complotistes ou propagandistes. Un papier issu de l’IRSEM.

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Quelques derniers mots pour vous signaler diverses publications en « actualités » sur le site GeoStrategia (, et vous rappeler que les XIVème Assises Nationales de la Recherche Stratégique, intitulées « Imprévues, imminentes : thromboses 2030 ; Corridors & milices », se tiendront le 26 septembre 2024, au CNAM. Vous pouvez découvrir désormais la richesse du panel d’intervenants, et vous inscrire via le lien : Assises nationales de la Recherche Stratégique 2024 (weezevent.com).

Nous vous souhaitons une belle parenthèse olympique, une agréable suite d’été, et nous vous donnons rendez-vous courant septembre 2024, avec une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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