Édito n° 118/39 du 19 décembre 2024

« Le fait que les hommes tirent peu de profit des leçons de l'Histoire est la leçon la plus importante que l'Histoire nous enseigne. »
Aldous Huxley, écrivain, romancier et philosophe britannique, (1894-1963)

D’un engrenage militaire à une recomposition politique au Levant ?

Les suites de l’attaque terroriste du 07 octobre 2023, lancée sur le territoire d’Israël par le Hamas et ses alliés, n’en finissent plus de bouleverser la région, et au-delà même, de résonner sur l’ensemble de la scène internationale.

La chute soudaine du régime Al-Assad en Syrie en est un des exemples des plus éclatants, qui signe les limites d’un « Axe de la résistance », proclamé et patiemment forgé par Téhéran depuis une trentaine d’année.

La tragédie du « 07 octobre », perpétrée par le Hamas a engendré un enchainement dont les conséquences s’avéraient difficilement imaginables. En amenant Israël à répliquer et à frapper sur sept fronts, le « 07 octobre » a en effet initié un engrenage militaire qui se mue en recomposition politique de la région.

Cette recomposition procède-t-elle d’une stratégie délibérée de remodelage politique, à l’instar des Etats-Unis après le 11 septembre 2001, ou de conséquences induites à la faveur de rétorsions envisagées par Israël comme principalement militaires ? La question pourra faire l’objet d’analyses et d’études historiques ultérieures.

De facto, une nouvelle donne strategico-politique se met en place au Levant. Une nouvelle donne dont certains aboutissements restent vraisemblablement encore à venir, dans la région, mais également au-delà, plus indirectement et notamment sur le conflit russo-ukrainien.

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Les actions militaires menées par Israël depuis le « 07 octobre » peuvent être distinguées sur le plan géographique, afin d’en aborder les conséquences sur le plan politique : Gaza, la Cisjordanie, le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen et l’Iran.

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Le Hamas est quasi-détruit sur le plan militaire. L’installation prochaine d’une nouvelle présidence Trump à la Maison Blanche repose déjà avec acuité la question des otages et d’une trêve associée à leur libération. L’hypothèse que l’organisation islamiste reprenne la main sur le plan politique s’en trouve d’autant plus compromise. L’avenir de la Bande de Gaza se discute surtout avec Ryad, toujours attachée aux accords d’Abraham en dépit du bilan humanitaire désastreux pour les gazaouis.

La Cisjordanie n’a pas échappé au contrôle sécuritaire de l’Etat hébreu, et l’Autorité palestinienne devra prendre en compte la nouvelle donne créée par l’arrivée de l’administration « Trump 2 » à Washington.

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Au Liban, l’affaiblissement du Hezbollah est significatif, décapité par les frappes de Tsahal après avoir annoncé soutenir le Hamas dès le 08 octobre 2023, se faisant le fourrier militaire des intérêts stratégiques iraniens. La milice chiite libanaise s’avérait ensuite dans l’incapacité de concourir à la sécurité de sa fragile base arrière syrienne.

Avec le cessez-le-feu au Sud-Liban et la chute récente du pouvoir des Al-Assad, précipitée par l’effondrement d’une armée « clochardisée » et par la défaillance d’alliés affaiblis, la scène politique pourrait sensiblement évoluer à Beyrouth. Le Pays du Cèdre, affranchi des pressions intimidatrices du Hezbollah, de Téhéran et de Damas, devrait enfin pouvoir accoucher d’une présidence et envisager de déterminer ses orientations politico-diplomatiques avec bien davantage d’autonomie.

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En Syrie, l’influence turque aura su tirer parti de l’affaiblissement de la Russie, de la sape des capacités politico-militaires du Hezbollah comme de l’entêtement sanglant du régime en place à Damas pour fomenter et précipiter la chute de Bachar Al-Assad. Ankara pousse ses pions, notamment pour écarter le risque de jonction entre les différentes zones kurdes du Moyen-Orient.

L’ « Axe de la résistance » est par ailleurs coupé ; la route entre Téhéran et le Liban est désormais, non seulement sous les feux de Tsahal, mais sous le contrôle d’un régime affidé à la Turquie. L’influence ottomane vient ainsi faire reculer l’influence perse, dans une alternance immémorable pour la région.

Reste bien entendu une inconnue de poids avec l’orientation que prendra, à terme, le nouveau pouvoir islamiste à Damas. Il est certes à ce jour soucieux de donner des gages de modération, aux chancelleries occidentales en particulier. Cette incertitude sur l’orientation à venir du nouveau pouvoir islamiste, mais également sur les nouveaux rapports de forces en Syrie, s’est d’ailleurs immédiatement traduite sur le plan militaire. Alors que l’aviation américaine frappe les positions de l’Etat Islamique, Tsahal bombarde les arsenaux et les capacités sensibles qu’entretenait l’armée de l’ancien régime.

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En Irak, comme au Yémen, l’arc chiite se sent vulnérable ? Dans ces deux pays, nombre de milices, dont les Houthis, sont certes associées à l’Iran, sans pour autant lui être alignées. Elles sont par ailleurs affectées par les frappes israéliennes, et d’autant plus soucieuses de privilégier leurs propres agendas sur celui inspiré par Téhéran.

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L’Iran semble donc à ce jour le principal perdant de la séquence engagé par le « 07 octobre ». Une séquence qui pourtant en faisait le hérault d’une cause palestinienne occultée par les accords d’Abraham et durement affectée par la riposte militaire infligée à Gaza par Israël.

Les failles de l’Axe de la résistance, ses limites en termes, tant de cohésion politique que de capacités militaires, n’ont pas résisté à l’engrenage militaire. Le « Roi » est apparu quasi-nu lorsqu’il a fallu passer des rodomontades au bras de fer stratégique. Un bras de fer stratégique lors duquel Israël a bénéficié de la réassurance sans faille de ses alliés, et singulièrement des Etats-Unis.

Le régime des mollahs semble miné de l’intérieur, à la merci d’une révolte populaire, voire d’un coup de force des Gardiens de la Révolution. Les frappes de l’Etat hébreu, certainement fort opportunément canalisées par Washington, ont par ailleurs pavé le chemin vers ce qui parait l’ultime viatique du régime : la capacité à passer du seuil à la bombe nucléaire, et les installations associées.

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Au rebours de la croyance, de l’utopie qui s’est installée dans une Europe mise à l’abri des soubresauts du monde par la protection américain, l’Histoire ne s’est pas achevée avec la chute de l’URSS. Les dés en géopolitique ne sont jamais définitivement jetés, et le cours déroutant des bouleversements engendrés par le « 07 octobre » le souligne. Le modèle occidental, considérant que démocratie et prospérité se conjuguent en garantie de paix universelle, perpétuelle, est battu en brèche par une réalité autre du monde, par la permanence des ambitions de puissance.

Les bouleversements post « 07 octobre » sonnent pour les Européens comme une nouvelle exhortation au discernement, sinon au réveil stratégique !

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En ce mois de décembre 2024, nous vous proposons une nouvelle sélection mensuelle de six papiers de réflexion sur les questions stratégiques.

Les récentes émissions de mandats d’arrêt de la justice pénale internationale liées aux conflits en Ukraine et au Proche-Orient replacent la question du rôle et de l’impact de cette justice internationale comme facteur de paix et de sécurité collective. Avec « Justice pénale internationale : l’épreuve de vérité », Marc Perrin de Brichambaut, ancien juge à la Cour pénale internationale (CPI), aborde les défis et enjeux auxquels est confrontée la CPI, en les replaçant dans une double perspective, historique et prospective. Un papier issu de la revue Politique Étrangère n°4, hiver 2024 de l’IFRI.

Les atermoiements des gouvernements européens à faire valoir leurs intérêts stratégiques de sécurité en Ukraine risque de les laisser absents des négociations à venir, au risque de saper tant la position de Kiev que le rôle de l’Europe dans l’élaboration d’un ordre de sécurité européen stable. C’est l’idée maîtresse qui oriente et articule la réflexion du papier de Marie Dumoulin et de Camille Grand, « Staying power : Securing peace in Ukraine while balancing European interests ». Les auteurs s’interrogent successivement sur la substance de ces intérêts stratégiques européens dans une future Europe post-guerre russo-ukrainienne, sur les garanties de sécurité nécessaires à Kiev à un tel horizon, et sur le rôle des pays de l’UE pour placer l’Ukraine en bonne position de négociation. Des interrogations qui s’avèrent à la fois fondamentales et interdépendantes. Un papier issu de l’ECFR.

Alors que l’Europe décroche de son statut de « géant » sur les plans économique, scientifique, et reste un « nain » sur le plan stratégique, l’heure du sursaut sonne de façon de plus en plus stridente. Le papier « Réinventer l’Europe : science, démocratie et stratégie pour relever les défis de long terme » souligne les axes qui doivent désormais guider l’action de l’Union, pour espérer encore compter sur la scène internationale et restaurer la confiance intérieure. Paul Boucher s’intéresse en particulier aux conditions nécessaires pour lutter contre les défiances publiques et (re)devenir un carrefour scientifique et diplomatique. Un papier issu de Synopia.

Le Mexique est profondément et douloureusement affecté par la puissance croissante des organisations criminelles liées au trafic de stupéfiants. L’ampleur et l’acuité de la menace confronte ce pays et son état à des choix majeurs sinon fondamentaux pour y faire face. En s’appuyant sur la description de la situation sécuritaire du pays, le papier « Vers une militarisation de la sécurité publique au Mexique ? », sous la forme d’un entretien avec Celina Camarena Romero, s’intéresse au rôle désormais confié aux forces armées mexicaines en matière de sécurité intérieure, et s’interroge sur la notion de militarisation de cette sécurité publique. Un papier issu des Jeunes-IHEDN.

Le papier « Les enjeux sécuritaires du stress hydrique en Europe du Sud » s’inscrit au sein d’une étude menée au profit du ministère des Armées. L’étude souligne l’importance accordée aux enjeux de sécurité liés au changement climatique en général, et à la question du stress hydrique en Europe du Sud plus particulièrement. Eléonore Duffau, Mathilde Jourde et Martin Collet analysent les défis posés par le décalage entre besoin et disponibilité en eau dans cette région. Ils les déclinent en aspects sociétaux, aspects opérationnels pour les forces armées, puis tracent divers scenarii prospectifs, assortis de recommandations. Un papier issu de l’IRIS.

Ambitions croissantes de la Chine en Indopacifique, menaces nord-coréennes…Le Japon semble comme hésiter entre tradition pacifiste et autonomie militaire. Avec le papier « La posture défensive japonaise : entre tradition pacifiste et désirs d’autonomie militaire », Alicia Colas explore cette question de la posture défensive japonaise et s’interroge sur sa réalité, son histoire, ses fondations dans les textes juridiques, et ses conséquences sur la géopolitique en Asie de l’Est et au-delà. Un questionnement qui s’inscrit dans un contexte d’incertitudes politique et stratégique amplifiées par le prochain retour de Donald Trump à la présidence américaine, et sur ses implications en termes de réassurance américaine en Asie. Un papier issu de la Bibliothèque de l’École Militaire (BEM).

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Comme nous le précisions en novembre, vous pourrez dès demain débuter une nouvelle version VIII complétée du MOOC Questions Stratégiques du Cnam, élaboré avec le soutien du SGDSN. Et dès l’année prochaine, une date à réserver, le 16 janvier 2025, avec la tenue d’une conférence sur la dimension stratégique des Fonds marins, en partenariat avec le Centre d’Études Stratégiques de la Marine.

Et surtout, comme nous approchons du terme calendaire de 2024, nous vous souhaitons de bien belles fêtes de fin d’année, entourés de celles et ceux qui vous sont chers !

Rendez-vous dès le début de 2025 pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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