Édito n° 107/28 du 21 décembre 2023

« Il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, que celui qui tient pour réel et pour vrai ce qui devrait l'être sans doute, mais qui malheureusement ne l'est pas, court à une ruine inévitable. »
Nicolas Machiavel, théoricien de la politique, de l'histoire et de la guerre, poète, dramaturge (1469-1527) in « Le Prince ».

Une année passée sur le front du Donbass et du Dniepr, et la situation militaire semble comme en miroir de celle de la fin 2022. La ligne de front parait figée, le point de névralgie, l’abcès de fixation autour d’Avdiivka s’est comme substitué à celui, naguère, de Bakhmout. L’hiver qui débute devrait faire écho au précédent, avec une campagne aérienne russe ciblant les infrastructures énergétiques et visant à briser le moral des Ukrainiens.

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Cet instantané ne peut pour autant pas occulter les soubassements bouleversés de la situation. L’Ukraine manque désormais de munitions, sinon de combattants valides. De surcroît, elle pâtit à la fois du conflit Israël-Hamas et d’une lassitude des opinions publiques occidentales, au regard du niveau de soutien financier et matériel qui serait nécessaire pour envisager modifier, voire maintenir, le rapport de forces vis-à-vis de son agresseur.

L’année écoulée marque en effet l’échec des espoirs de l’Ukraine et de ses soutiens d’une rupture du front et d’une bascule du destin de ce conflit. La contre-offensive s’est épuisée sur le mur de la résistance russe, et au-delà, sur la réalité de profondeurs stratégiques inégales.

Une profondeur stratégique, à la fois géographique, démographique et économique, pour une Russie où le pouvoir se montre désormais assez confiant pour caracoler sur la scène intérieure, mais également extérieure.

Une profondeur temporelle également, et Vladimir Poutine devrait encore présider aux destinées de la Russie pour six années supplémentaires à l’issue des élections de mars-avril 2024. Et par ailleurs, l’accueil qui lui fut prodigué début décembre aux Emirats et en Arabie-Saoudite souligne à la fois l’influence conservée de la Russie comme celle affaiblie des Etats-Unis, sinon de l’Occident, sur la scène internationale. Le pétrole et le gaz de Moscou continuent à trouver preneurs, par des voies détournées s’il le faut, et l’économie russe semble en ordre de bataille pour tenir et produire, en dépit des sanctions.

A cette profondeur stratégique russe, l’Ukraine ne peut qu’opposer la volonté d’un pays plus de trois fois moins peuplé, et constater celle fluctuante de ses soutiens, qui peinent à financer et à équiper son effort de guerre. D’autant que le contexte stratégique de ce conflit, mené sous intimidation nucléaire, borne Kiev à des frappes limitées au périmètre du territoire ukrainien, ce qui annihile toute possibilité de tarir les flux logistiques russes et d’interdire le front au deuxième échelon de l’armée de Moscou.

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Les appels récents, par tribunes de presse interposées, à une mobilisation industrielle de l’Europe au profit de l’Ukraine via un véritable « moment Démosthène » ou encore à un passage effectif de l’Occident en « économie de guerre » seront-t-ils entendus et suivis d’effets ?

Au-delà du sort de l’Ukraine, désormais pour partie lié à celui de l’Europe qu’elle a vocation à rejoindre à un horizon certes indéterminé, c’est bien celui de la sécurité du continent qui est en jeu.

La franchise du ministre de la Défense allemand, qui confirmait récemment que l’engagement de l’Union à fournir un million d’obus à Kiev au début du printemps 2024 ne serait pas tenu, éclaire la problématique d’une lumière assombrie. Et la possibilité d’une future présidence américaine isolationniste, en fin 2024, la ternit bien davantage.

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Un scénario à la coréenne pourrait-il s’engendrer de la situation présente d’impasse militaire, au tournant 2024-2025 ? Avec non-seulement des interrogations sur la durée qu’une éventuelle trêve des combats offrirait aux diplomates, mais également sur les intentions que nourrirait Moscou. La Russie est certes aujourd’hui revigorée, mais elle est néanmoins affectée dans les tréfonds d’une démographie atone et va par ailleurs rester écartée pour longtemps du substantiel marché européen. En outre, la démobilisation (temporaire ?) de jeunes hommes armés et désabusés qui suivrait une suspension des hostilités sonne par ailleurs comme une autre menace, mais sur le front de la criminalité, sinon du terrorisme.

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D’après J. G. A. Pocock (historien néo-zélandais tout récemment décédé), le moment « machiavélien », c’est celui où une société sait se donner le régime politique et les institutions appropriées pour faire face à l’incertitude et au hasard. Luuk Van Middelaar (philosophe néerlandais) renchérit, en s’intéressant à l’Europe, et en soulignant qu’il s’agirait du moment où l’Union troquerait son angélisme « éternaliste » pour la pleine conscience du risque lié à sa finitude historique.

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Le moment « machiavélien », ce serait donc celui où l’Europe comprendrait que savoir se préparer à la traque, que pouvoir inspirer la crainte, que vouloir user ou menacer d’user de sa puissance, peuvent seuls permettre de tenir les loups à distance !

Par-delà un moment « Démosthène », en référence au destin des cités démocratiques grecques du IVème avant JC, bientôt victimes de l’impérialisme macédonien, en dépit des Philippiques du célèbre orateur, n’est-ce-pas à un moment « machiavélien » que l’Histoire convoque et enjoint l’Europe ?

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En ce mois de décembre 2023, nous vous proposons un nouveau choix de papiers de réflexion stratégique.

Alors que le conflit Israël-Hamas se poursuit depuis le 07 octobre dernier, le papier de Gérard-François Dumont (issu de la Revue Géostratégiques) « Israël et les trois bouleversements de sa géopolitique des populations » en permet une mise en perspective démographique indirecte. L’auteur analyse en effet trois transformations majeures de l’équation démographique de l’état hébreu, avant d’en inférer les effets géopolitiques.

La Chine est à la fois un des premiers émetteurs de gaz à effet de serre, conséquence de son essor économique, mais également un des premiers producteurs d’énergie décarbonée. Ce paradoxe apparent souligne la finalité stratégique que constitue désormais l’inscription de Pékin au cœur des enjeux industriels et technologiques de la transition énergétique. Avec « La Chine face aux changements climatiques : une quête de puissance et d’influence écologiques », Marine de Guglielmo Weber, Yente Thienpont et Gabriel Bonnamy analysent une triple quête d’influence diplomatique, de leadership économique et de puissance militaire poursuivie par la Chine. Une note élaborée dans le cadre de l’observatoire défense et climat de l’IRIS.

Quel est le poids de « La culture stratégique chinoise » dans le comportement de Pékin comme Puissance sur la scène internationale contemporaine ? L’analyse menée par Anouchka Dumetz pour la Bibliothèque de l’Ecole militaire aborde ce sujet par une prise de recul historique, prélude à la pesée des héritages stratégiques chinois traditionnels dans les postures et pratiques d’aujourd’hui. L’autrice propose ensuite une caractérisation de la pensée stratégique actuelle, et des subtils équilibres qu’elle met en exergue.

Les récents coups d’état en Afrique signent-t-ils un divorce avec le multipartisme ? Avec « Coups d’état en Afrique : des manifestations de l’asthénie de la démocratie importée », Pierre Jacquemot revient sur les heurs et malheurs du processus démocratique jusqu’aux récents développements, avec le retour des putschs militaires. L’auteur souligne ce qu’il considère comme la fin du cycle de tentative de démocratisation par l’élection. Il tente ensuite d’éclairer les futurs possibles, sur un continent où l’arrivée de nouvelles générations change la donne. Un papier issu de la Fondation Jean Jaurès.

Depuis la prise de contrôle éclair du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan à la mi-septembre dernier, la situation régionale est particulièrement incertaine. Marie Dumoulin et Gustav Gressel, les deux auteurs de ce papier issu de l’ECFR, éclairent les risques qui pèsent sur l’Arménie, confrontée à un rapport de forces particulièrement défavorable et à un risque de chantage territorial, sinon d’invasion. Avec « Après le Haut-Karabakh : Comment les Européens peuvent-ils renforcer la résilience de l’Arménie ? », les auteurs s’appuient sur ce constat initial et proposent les actions prioritaires à mener par l’Union européenne pour à la fois empêcher une nouvelle escalade, renforcer les capacités de défense de l’Arménie et soutenir un accord de paix entre les parties.

La compromission des données numériques sensibles, avec ses conséquences induites sur l’activité, est devenue le premier risque auquel les organisations doivent faire face. Ce constat initial fonde l’analyse et l’élaboration d’une démarche de parade innovante que présente Gauthier Appriou dans ce papier proposé au titre d’une contribution « hors partenaires », placée sous l’égide du Cnam/ESD. « Prédation économique par voie numérique : retourner le facteur humain contre le prédateur ! » développe donc une approche originale et impactante destinée à inverser le facteur de risque, l’humain, en facteur de succès face aux défis posés par la prédation du patrimoine immatériel économique.

En cette fin d’année 2023, toute l’équipe vous souhaite de très belles fêtes et vous donne rendez-vous courant janvier 2024 pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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