Le conflit ukrainien, qui s’illustre par un recours délibéré à une « dissuasion agressive », à l’intimidation atomique, suscite à la fois réaffirmation et contestation de cette dissuasion nucléaire. La publication explore cette double manifestation comme les évolutions qu’elle peut susciter au sein des états dotés.
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Les références originales de cet article sont : “La dissuasion nucléaire à l’aune de la guerre en Ukraine : entre soutien réaffirmé et contestations structurelles”, Emmanuelle Maitre. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de la FRS.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a mis en avant la question de la dissuasion nucléaire. Les dimensions nucléaires des événements qui se sont enchaînés depuis le 22 février sont de différentes natures[1] . On pense, en particulier, aux nombreuses références par les dirigeants russes à leur arsenal nucléaire, allusions visant non seulement à l’utiliser à des fins dissuasives mais également coercitives. Le concept de « sanctuarisation » du territoire sous le parapluie nucléaire a également été employé pour décrire la politique menée par la Russie de Vladimir Poutine.
Dans ce contexte, plusieurs phénomènes sont observables. Tout d’abord, la dissuasion nucléaire en tant que doctrine de sécurité est perçue avec une acuité supplémentaire dans les régions où des pays déploient des armes nucléaires. Cette attention accrue n’est pas nouvelle. En effet, l’annexion de la Crimée par la Russie dès 2014 a largement modifié les analyses de la décennie précédente, qui semblaient douter de la pertinence de la dissuasion nucléaire pour répondre aux défis de sécurité d’alors (terrorisme, prolifération, crises régionales).
Progressivement, du côté occidental, les documents d’orientation des stratégies de défense des principaux États insistent sur l’importance du retour de la compétition stratégique et la nécessité de s’appuyer sur la dissuasion nucléaire pour éviter des conflits armés majeurs. Cela se traduit aux niveaux doctrinal et programmatique.
Cependant, les événements récents sont également à l’origine d’une interprétation totalement inverse puisque pour certains États et acteurs de la société civile, le retour de la compétition stratégique et les agissements de la Russie démontrent justement l’urgence d’éliminer les armes nucléaires des rapports entre puissances pour éviter une catastrophe globale. La lecture est donc opposée : alors que du côté des États dotés et de leurs alliés, l’arme nucléaire peut prévenir un conflit conventionnel dans une logique dissuasive, pour d’autres, elle empêche durablement tout règlement pacifique des litiges et entretient une menace perpétuelle de destruction disproportionnée sur l’humanité. Cette seconde vision est partagée par une communauté grandissante d’États et d’acteurs, et s’appuie désormais sur une norme internationale qui vise à promouvoir l’objectif d’une élimination rapide des armes nucléaires.
Le « retour » de la dissuasion nucléaire fait donc l’objet de controverses. Pour autant, les critiques ne parviennent pas à ce jour à influer sur les calculs stratégiques des grandes puissances. Du côté occidental, les appels au désarmement sont certes pris en compte et sont à l’origine de politiques spécifiques. Mais la confiance dans le rôle de la dissuasion pour garantir la sécurité nationale est à l’origine d’efforts et d’investissements durables visant à doter ces États des capacités de dissuader pour les décennies à venir.
References
Par : Emmanuelle MAITRE
Source : Fondation pour la recherche stratégique
Mots-clefs : dissuasion nucléaire, Ukraine