Stratégie de défense de la France : acter le pivot vers l’Europe

Mis en ligne le 19 Mar 2025

Les bouleversements géopolitiques en cours obligent la France à repenser sa stratégie de défense. C’est notamment l’inflexion donnée par le Président de la République et c’est dans cette perspective que s’inscrit la réflexion menée par les auteurs du présent papier. Ils insistent plus particulièrement sur l’importance de la méthode, inclusive vis-à-vis de la société et de nos alliés, comme sur la nécessité d’un véritable « pivot vers l’Europe », en distinguant six principales pistes à suivre.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Renaud Bellais, Axel Nicolas, « Stratégie de défense de la France : acter le pivot vers l’Europe », Fondation Jean Jaurès, Economie / Social Europe. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de la Fondation Jean Jaurès.

Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, l’Europe découvre la solitude stratégique. La sécurité collective garantie par l’Alliance atlantique est totalement remise en question par les revirements du nouveau président des États-Unis. Le constat en 2019 du président de la République d’une OTAN « brain-dead » (en état de mort cérébrale)[1], incapable d’anticiper ce changement, semble se vérifier avec acuité.

Dans ce contexte, le président de la République a appelé à une actualisation de la Revue nationale stratégique (RNS) à l’occasion de ses vœux aux armées le 20 janvier 2025. Le dernier exercice de ce type a été réalisé dans la précipitation en 2022. Il avait abouti à une revue utile, mais qui ne définissait pas de priorités ou, plus exactement, en identifiait bien trop pour distinguer quels étaient les axes principaux.

Cette note cherche à nourrir la réflexion engagée sur la révision de la RNS. Elle est structurée en trois temps : la définition de la situation, la définition d’une méthode et la définition de priorités.

Définir la situation : un monde en plein bouleversement

La révision de la RNS s’avère nécessaire en raison des bouleversements que les relations internationales ont connus depuis trois ans, mais aussi des transformations structurelles des enjeux de défense qui n’ont été qu’imparfaitement prises en compte jusqu’alors.

La réalité s’impose à nous, d’autant que les efforts de défense se sont intensifiés, comme le souligne l’accroissement des dépenses avec la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 – le texte prévoyant une enveloppe de 413,3 milliards d’euros pour les armées – et que cette tendance devrait se poursuivre. Bien comprendre l’environnement géostratégique est donc nécessaire afin de ne pas nous tromper d’objectifs.

Des changements géostratégiques qui s’inscrivent dans le temps

Les changements actuels sont rapides et brutaux, remettant en question des certitudes bien établies depuis des décennies, mais la situation ne doit pas nous faire perdre de vue une approche lucide. Plusieurs développements s’inscrivent dans un temps long. Sans être exhaustifs, nous relevons trois changements qui sont ainsi perceptibles depuis plus d’une décennie :

  • le « pivot vers l’Asie » de la politique de défense des États-Unis est une décision prise par le président Obama en 2012. Si Washington garde un intérêt et des troupes en Europe, son attention accrue vers le Pacifique est une tendance lourde en raison de la rivalité systémique avec la Chine. Les premières semaines de l’administration Trump confirment et amplifient ce basculement des efforts, comme l’a souligné le secrétaire à la Défense Pete Hegseth lors de sa première intervention à l’OTAN[2] ;
  • la fin du multilatéralisme, avec des organisations internationales moins efficaces ou délaissées, et l’émergence de puissances de premier rang, en particulier la Chine, et de puissances régionales, comme la Turquie et l’Inde. Dès le début des années 2010, la Chine a entamé une militarisation de la mer de Chine méridionale, notamment à travers ses implantations dans les îles Spratley[3]. De même, en 2020, la Turquie montrait ses ambitions d’annexion en Méditerranée orientale, obligeant la France à envoyer des Rafale en soutien de la Grèce[4] ;
  • enfin, l’utilisation de la force par la Russie s’était illustrée par la guerre en Géorgie en 2008 et l’annexion de la Crimée en 2014. Elle a pris une nouvelle dimension avec l’invasion de l’Ukraine en 2022. Ces agressions répétées fragilisent le règlement pacifique des conflits et ouvrent la voie à une contestation des frontières et des règles internationales, voire au retour de stratégies impérialistes de toutes natures rendant le monde plus incertain.

Cette situation internationale dégradée oblige à garder la tête froide pour ne pas tomber dans une réaction excessive. Une nouvelle course aux armements incontrôlée accroîtrait certainement les risques d’une guerre.

Un effort de défense plus important est nécessaire, mais il convient de le faire avec sagacité et avec mesure afin d’assurer qu’il réponde bien aux enjeux de sécurité et de stabilité internationale pour la France.

Une sécurité collective à l’aune des enjeux pour la France et l’Europe

Pour reprendre les mots de Thomas Gomart, « l’histoire s’accélère[5] ». D’une part, la situation internationale est imprévisible, notamment à cause des prises de position de Donald Trump. D’autre part, la mondialisation aboutit à un enchevêtrement des crises.

La RNS doit adopter une approche de sécurité collective entre Européens. Celle de 2022 n’a pas été explicitement corrélée avec la préparation de la Boussole stratégique de l’Union européenne[6]. Si notre pays a eu une conscience plus précoce des enjeux de sécurité internationale que beaucoup d’autres pays européens, l’ampleur des défis requiert de jouer collectif.

Les défis sont à la fois trop nombreux et trop importants pour penser à l’échelle nationale uniquement. La géographie s’impose à nous et les Polonais ou les Lettons n’ont pas tort de dire qu’ils sont en première ligne de la défense de l’Europe. Or, la tenue d’un théâtre militaire à l’échelle du continent requiert la combinaison des ressources entre Européens. La défense de la France ne commence pas aux portes de Strasbourg !

En même temps, il n’est pas possible de nous reposer sur l’Alliance atlantique en espérant que « les États-Unis feront le job ». Le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, a été explicite : les Européens doivent prendre en main leur sécurité[7]. La conditionnalité de l’aide américaine aboutit à douter de la fiabilité de Washington et donc à affaiblir l’Alliance.

Face à ces périls plus grands et à l’absence de garanties sur un soutien automatique des États-Unis, il est nécessaire de ne plus dépendre d’autres pour garantir notre sécurité internationale et donc de développer l’autonomie stratégique française et européenne.

La défense d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier

Aux ruptures structurelles et à la volatilité de l’environnement s’ajoute une transformation de l’art de la guerre par l’apparition de technologies aux impacts systémiques. Ces dernières années, le développement des drones, de l’intelligence artificielle ou encore du spatial aboutissent à des combinaisons engendrant par exemple une transparence quasi totale du champ de bataille. De même, l’hyperconnexion de nos sociétés aboutit à des vulnérabilités au travers de la désinformation et des cyberattaques. Plus que jamais, une analyse de défense doit être systémique afin de prendre en compte les enjeux d’une défense globale.

Le spectre des investissements nécessaires pour maîtriser les technologies émergentes et de rupture[8], qui incluent notamment l’intelligence artificielle, les systèmes autonomes ou encore les technologies quantiques (pour lesquelles Microsoft, Google et d’autres investissent des dizaines de milliards d’euros par an en recherche et développement), dépasse largement les ressources du ministère des Armées. En 2025, ce dernier dispose d’un budget « innovation » de 1,2 milliard d’euros[9] pour couvrir l’ensemble des besoins incluant aussi d’importants développements dans les équipements traditionnels.

Les tickets d’entrée pour jouer à armes égales avec nos adversaires potentiels sont bien au-delà des efforts louables déployés par la France – même aujourd’hui. Cette mutualisation des efforts d’innovation est d’autant plus nécessaire que les menaces imminentes risquent de conduire les armées à privilégier les achats à court terme en sacrifiant la préparation du moyen et long terme. Or, la capacité à innover reste un élément critique pour éviter les surprises stratégiques.

Mais la défense d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier : l’innovation ne se concentre pas uniquement sur l’amélioration des technologies. La guerre en Ukraine nous rappelle que les matériels dont nous disposons à l’instant t ne sont jamais complètement adaptés aux besoins opérationnels immédiats. Il convient alors d’avoir une plus grande agilité dans les politiques d’acquisition de défense, comme le soulignent d’ailleurs les « 18 thèses[10] » publiées en octobre dernier par Palantir, le spécialiste américain du big data de défense.

Définir la méthode : l’heure des choix et des priorités

Pour réussir cette actualisation de la RNS, la méthode compte autant que le résultat. Nous sommes aujourd’hui dans un temps de crise, avec le risque d’entrer dans un temps de guerre. L’efficacité et la priorisation priment sur la quête d’un idéal militaire : l’heure est à la concentration des efforts sur l’essentiel pour répondre efficacement aux menaces.

Prioriser et tenir dans le temps

La priorité doit être… de prioriser ! La précédente RNS avait abouti à dix priorités[11], soit un nombre trop important qui ne permet pas la lisibilité de notre stratégie. La mise à jour doit se centrer sur quelques axes afin d’être compréhensible par nos alliés – et nos adversaires.

Depuis la fin de la Guerre froide, la France se caractérise par une politique de non-choix avec l’espérance de pouvoir garder un modèle d’armée complet. Elle a réussi dans une certaine mesure, mais au prix d’une « armée bonzaï » qui ne convient plus aux risques actuels de guerre. Il est moins important de savoir tout faire que d’être capable de tenir dans la durée pour les missions que l’on sait bien faire à l’échelle appropriée, en concentrant les efforts sur des dimensions structurantes pour les opérations militaires (dont le choix revient aux armées). Une guerre interétatique est par définition une guerre d’attrition. Si des armées n’ont pas l’épaisseur suffisante, elles ne seront pas en mesure de tenir.

Se coordonner entre Français, avec les autres Européens

Le dialogue doit être au cœur de la méthode afin de créer du consensus politique. 

Sur le plan national, la dissonance entre la gravité de la situation internationale et l’état du débat hexagonal est inquiétante et nécessite absolument une prise de conscience. En ce sens, le dialogue en format « Saint-Denis[12] » le 20 février 2025 du président de la République est un signal positif, tout comme le débat au Parlement début mars. Sur la RNS, pour favoriser une appropriation du débat par l’opinion, il serait utile que chaque groupe parlementaire rende publique une contribution. Par la suite, le résultat de la RNS pourrait aussi faire l’objet d’une discussion au Parlement afin d’amplifier la prise de conscience.

Le dialogue doit aussi se faire avec nos alliés. Le secrétariat général à la défense et à la sécurité (SGDSN) a confirmé que le Royaume-Uni et l’Allemagne seraient consultés, ce qui est un excellent point de départ. Néanmoins, il est nécessaire d’échanger avec d’autres États, notamment en Europe. Par exemple, la Belgique a choisi de se rapprocher de la France en choisissant le même modèle d’armée de terre (programme CaMo). De même, la France doit consulter ses alliés proches en Europe, avec lesquels elle a souvent signé des partenaires stratégiques ces dernières années : Allemagne (traité d’Aix-la-Chapelle), Italie (traité du Quirinal), Espagne (traité de Barcelone), Pologne (traité de Nancy en préparation), Royaume-Uni ou encore Grèce. Pour montrer la crédibilité de la France et la pérennité de ses engagements, il est nécessaire que ces États soient consultés.

Définir des priorités : renforcer la crédibilité auprès de nos adversaires et… de nos alliés

À partir de ce constat, cette note propose d’articuler l’actualisation de la RNS autour de trois axes : prioriser les zones géographiques d’intérêt, articuler notre dissuasion nucléaire avec des forces conventionnelles plus conséquentes et renforcer les liens avec d’autres pays européens pour une défense collective efficace.

Un retour aux réalités des défis géostratégiques pour la France

Par les leçons que nous pouvons en tirer, la guerre en Ukraine ramène à la réalité : quels sont les besoins urgents ? Quelles ambitions militaires atteignables et dans quel horizon géographique ? Est-il raisonnable de porter l’ambition d’être une puissance militaire de premier rang en Indo-Pacifique quand, de l’aveu même de militaires, selon Jean-Dominique Merchet[13], l’armée de terre ne pourrait tenir qu’un front de 80 kilomètres en haute intensité ?

Bien entendu, l’ambition est louable, mais elle dépasse sans le moindre doute les capacités des armées françaises, en particulier dans le cadre d’une potentielle guerre interétatique majeure. Afin de définir clairement les intérêts de la France, il est pertinent de distinguer trois cercles concentriques d’intérêt géostratégique qui doivent pondérer les efforts de défense :

  • le territoire national ;
  • le continent européen et son voisinage immédiat, y compris dans ses approches maritimes ;
  • l’Indo-Pacifique, notamment par les flux commerciaux qui y passent, ce qui implique une attention toute particulière aux détroits et canaux (Suez, Bab-el-Mandeb, Malacca).

Un constat est nécessaire : il faut renouer avec les principes d’économie des forces et de concentration des efforts développés par le maréchal Foch. La garantie de sécurité du continent européen doit donc être la priorité, car c’est l’espace géographique le plus exposé aujourd’hui. Ceci ne conduit absolument pas à renoncer à affirmer la souveraineté de la France sur l’ensemble de ses territoires, mais simplement à assurer la protection des aires géographiques sur lesquelles nos armées ont la plus forte probabilité de devoir s’engager.

Articuler les différentes modalités de dissuasion

La géographie et la nature des conflits imposent aussi de reconsidérer les rôles respectifs de la dissuasion nucléaire et des forces conventionnelles. La guerre d’attrition implique d’élargir le spectre de la dissuasion au-delà de sa dimension nucléaire. La France n’a pas vocation à devenir une « Suisse nucléaire », d’autant que ce choix est périlleux : il reviendrait à placer très bas le seuil de déclenchement d’une réponse nucléaire, ce qui pourrait conduire à une situation dramatique très rapidement.

Tout d’abord, la protection de l’ensemble du territoire national implique forcément la dissuasion nucléaire, puisqu’il s’agit d’un intérêt vital. La France doit poursuivre sa politique de souveraineté engagée dès les années 1950 et amplifiée par le président de Gaulle avec, en son cœur, la dissuasion nucléaire. Toutes les composantes de la dissuasion nucléaire sont plus que jamais complémentaires. Dans un contexte où certains États engagent une remontée en puissance de leur arsenal nucléaire, comme la Chine, un renforcement de notre arsenal au-delà du principe de « stricte suffisance » semble nécessaire pour compenser la disparition du parapluie américain, envoyer un signal stratégique et crédibiliser la dimension européenne de la dissuasion française.

Ensuite, la défense du territoire métropolitain et de nos alliés nécessite de se développer selon deux axes. D’une part, être en mesure d’infliger des pertes importantes à un ennemi qui souhaiterait s’emparer de territoires. La stratégie de déni d’accès et d’interdiction (dite A2AD) doit être fortement développée (détection, défense sol-air, capacité à frapper). D’autre part, notre pays doit avoir la capacité de frapper massivement, pour convaincre l’adverse de renoncer rapidement à toute aventure militaire contre la France. En clair, la politique de défense doit être repensée afin de construire un modèle d’architecture de défense qui démontre à l’adversaire notre capacité de résistance et de résilience après le choc de l’affrontement initial. C’est une leçon rappelée par la capacité de l’Ukraine à ne pas s’effondrer dans les premières semaines de mars 2022.

Enfin, la défense du continent européen nécessite de développer et d’assumer une dissuasion conventionnelle coordonnée entre Européens. Toutefois, il convient de ne pas dupliquer ce que font nos alliés, mais de développer des complémentarités pour que chaque pays gagne en épaisseur dans certaines capacités plutôt que d’avoir des moyens échantillonnaires dans tous les pays.

Par exemple, il serait inutile de copier l’effort polonais en investissant quasi uniquement dans l’armée de terre. La France doit capitaliser sur les forces offertes par sa singularité historique, géographique et industrielle. Sans exclure une remontée en puissance de l’armée de terre, la France pourrait notamment développer les strategic enablers. Littéralement « facilitateurs stratégiques », ces derniers sont des capacités qui permettent d’agir de façon autonome (renseignement par satellite, centre de commandement (Command and Control C2), frappe dans la profondeur avec des capacités souveraines, avions de transport stratégique). Aujourd’hui, l’Europe dépend énormément des États-Unis pour ces éléments, ce qui la rend incapable d’agir seule durablement. Cet effort devant être réalisé en complémentarité de nos alliés, il est nécessaire de le faire en lien avec eux.

Cette approche collective en Europe est le moyen d’accroître l’efficacité de la défense de notre continent sans nécessiter un accroissement démesuré des dépenses militaires de chaque pays pris individuellement. L’amélioration de la sécurité de l’Europe passe d’abord par une meilleure synchronisation des efforts militaires qui doit ainsi permettre de ne pas sacrifier nos politiques sociales.

Agir entre Européens pour une défense de l’Europe

L’actualisation de la RNS doit être une amplification de la montée en puissance d’une défense collective engagée à l’échelle du continent depuis une décennie : agir en Européen, c’est-à-dire agir avec les Européens en Europe. Cette situation nécessite deux choses : des actes et une coordination dans l’effort engagé.

La capacité à agir collectivement en Europe repose sur la crédibilité de l’engagement de la France auprès des autres pays européens. La France a le deuxième budget de défense après l’Allemagne dans l’Union européenne[14] et elle a certainement la plus grande expertise avec le Royaume-Uni. Cependant, son rôle de puissance militaire est nécessaire, mais il n’est pas suffisant en soi. Il faut des actes pour convaincre les autres Européens que nous serons effectivement à leurs côtés le jour où ils en auront besoin.

La crédibilité de l’engagement de la France dans la défense européenne passe par un « pivot vers l’Europe », qui s’incarnerait par le déploiement de troupes et de capacités militaires sur le territoire d’autres pays. Nos alliés européens le demandent d’ailleurs depuis des années auprès des Américains, comme le rappelle la proposition d’un « Fort Trump » en 2018 par le gouvernement polonais[15]. L’engagement est d’autant plus crédible lorsqu’il se concrétise par des actes et des moyens pour tenir dans le temps long.

Le principe s’applique donc aussi à la France si elle souhaite être motrice dans le renforcement d’une défense collective européenne. Notre pays est présent en permanence en Roumanie depuis 2022 et régulièrement en Estonie depuis 2017. Il doit désormais avoir la capacité de reprendre une partie de l’effort américain en intensifiant sa présence sur le flanc oriental par des déploiements supplémentaires. Cette transformation a été pressentie et entamée, comme le montre la création d’un « Commandement Terre Europe » en 2023 par l’armée de terre et le souhait de « commander en coalition ». Cette dynamique doit maintenant être amplifiée et généralisée[16].

Sur le plan des investissements financiers dans la défense, l’urgence de la situation liée au retrait américain incite naturellement tous les acteurs européens à augmenter les budgets. Ces hausses des budgets nationaux doivent être pensées de façon cohérente entre elles et avec les programmes de l’Union européenne. Il faut éviter que ces dépenses nouvelles aillent à des équipements non européens, comme en 2022 et 2023. La Commission européenne pourrait en particulier renouveler les programmes ASAP (financement d’augmentation de capacités de production)[17] et EDIRPA (encouragement aux acquisitions communes d’armes européennes)[18] lancés en urgence en 2022 et qui ont prouvé leur efficacité pour cristalliser les efforts entre Européens. Un « ASAP 2 » élargi à d’autres équipements, comme les drones, permettrait d’augmenter les capacités de production et de réduire les délais de livraison, ce qui est un grief fait par les pays d’Europe orientale. En complément, un « EDIRPA 2 » d’une large ampleur permettrait d’éviter en partie l’écueil d’achats hors du continent européen. Les enveloppes annoncées début mars par la Commission européenne offrent des marges de manoeuvre pour de tels programmes.

Conclusion : face aux accélérations, retrouver le sens du temps long

Arrêt de l’aide militaire américaine à l’Ukraine, augmentation des budgets nationaux de défense, un projet de 800 milliards d’euros pour la défense annoncés par la Commission européenne[19] : tout s’accélère et tout prend des proportions importantes. Face à ces tendances, il est d’urgent de prendre de la hauteur et de rester lucide. L’exercice d’actualisation de la RNS nous y invite.

La révision actuelle est nécessaire et la méthode compte autant que le résultat. La prochaine RNS doit constituer l’aboutissement de réflexions larges inscrites dans le temps long afin de l’asseoir sur une haute vue et des analyses posées. Finalement, la revue stratégique doit clarifier les enjeux, établir des priorités pour guider l’action publique de façon pérenne et porter une vision en direction de nos alliés et de nos partenaires stratégiques.

Ce processus requiert une approche inclusive de tous les ministères, qui associe pleinement le Parlement et la société civile pour éclairer les orientations. Une telle évolution de la méthode permettrait d’éviter une démarche brusque, tout en garantissant la légitimité militaire et démocratique des orientations proposées.

Sur le fond, il est nécessaire d’acter le pivot vers l’Europe. Le président Macron rappelle régulièrement que les intérêts vitaux de la France ont une dimension européenne. La revue stratégique est l’opportunité d’assumer en actes ce virage.

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