Une nouvelle administration Trump se prépare à prendre les rênes du pouvoir aux Etats-Unis, et le sujet « Climat », comme le sujet associé « Energie », suscitent de profondes interrogations par le monde, et en Europe plus particulièrement. Le papier aborde ses interrogations et souligne trois points à privilégier pour préparer l’UE à de vraisemblables fortes turbulences sur ces sujets : l’accord de Paris et sa protection, la transformation industrielle liée à la transition écologique et énergétique, la réduction des dépendances aux hydrocarbures américains. Trois points que le papier aborde dans une perspective de nécessaire montée en puissance d’une autonomie européenne en matière d’industrie et d’énergie.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.
Les références originales de cet article sont : Neil Makaroff, « La transition écologique européenne à l’ère Trump», Fondation Jean-Jaurès. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de la Fondation Jean Jaurès.
Le 5 novembre dernier, les Américains ont une nouvelle fois porté Donald Trump à la Maison Blanche. Son élection va avoir des conséquences très nettes sur la transition écologique et sur la sécurité énergétique européenne. Alors que le COP29 s’est ouverte à Bakou en Azerbaïdjan et que les dirigeants européens cherchent encore la réponse à apporter aux turbulences géo-économiques d’une administration Trump 2.0, trois points peuvent être identifiés pour préparer l’Union européenne aux chocs qui arrivent.
Protéger l’Accord de Paris sur le climat
Donald Trump l’a promis, et avec désormais le Sénat aux mains des Républicains, il sortira les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat et – plus grave encore – de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ne plus avoir le second plus gros émetteur de gaz à effet de serre mondial dans les négociations climatiques est un coup dur pour le multilatéralisme. D’autres pays, notamment pétroliers, pourraient utiliser le retrait américain comme une excuse pour affaiblir le consensus de la COP28 de Dubaï qui avait enfin acté le besoin d’une « transition hors des énergies fossiles ». En raison de la politique d’une administration Trump 2.0, les émissions des États-Unis pourraient augmenter de 4 milliards de tonnes de CO2 d’ici à 2030, refermant la fenêtre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C[1].
Face au désengagement promis par Donald Trump en matière de lutte contre le dérèglement climatique, les Européens peuvent pourtant prouver que le régime climatique mondial est résilient[2]. Tout d’abord en s’assurant du succès de la COP29, censée définir un nouvel objectif collectif de finance climat, aujourd’hui fixé à 100 milliards de dollars par an, pour soutenir les pays en développement dans leur transition et les aider à s’adapter. L’Union européenne et ses États membres, forts des 28 milliards de dollars dédiés à cet objectif chaque année, peuvent démontrer que la solidarité climatique perdure, voire s’amplifie[3].
Ils devront aussi s’assurer que la décarbonation mondiale accélère en montrant l’exemple. L’adoption d’un objectif de -90% d’émissions de gaz à effet de serre pour 2040 par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen de décembre enverrait le message que l’UE reste dans la course mondiale à la transition écologique. Elle n’est d’ailleurs pas la seule. Le Brésil de Lula qui accueillera la COP30 à Belem en 2025 veut montrer la voie et engager d’autres pays du Sud global. L’Inde souhaite également émerger comme un nouveau pays leader dans les technologies vertes. Les Européens peuvent contribuer à cette dynamique internationale et ainsi prouver que l’Accord de Paris, près de dix ans après la COP21, reste une feuille de route solide.
Intensifier la course industrielle à la transition écologique
La course industrielle à la transition écologique va continuer avec ou sans les États-Unis. La Chine en a fait le cœur de sa stratégie géo-économique et souhaite devenir l’usine mondiale des technologies vertes, asseyant sa domination industrielle sur le reste du monde. Si l’administration Trump souhaite réduire la voilure de l’Inflation Reduction Act (IRA), programme d’investissements verts massif lancé par Joe Biden, c’est l’économie américaine qui en paiera le prix. En investissant de nouveau dans le pétrole et le gaz, les États-Unis risquent de perdre leur leadership technologique sur l’innovation verte et laisser la voie libre à la Chine pour dominer cette nouvelle ère économique. 80% des investissements de l’IRA ont bénéficié à des États républicains[4], créant 334 000 emplois. Aujourd’hui, le Texas déploie plus d’éoliennes que la Californie par exemple, et n’aurait aucun intérêt à un arrêt net de cette nouvelle révolution industrielle[5]. Dans ce contexte, il est probable que Donald Trump soit contraint de conserver certains pans de l’IRA tout en rouvrant les vannes du pétrole et du gaz.
Néanmoins, la guerre commerciale que les États-Unis souhaitent livrer à la Chine et à l’UE devrait affecter directement l’économie européenne. Le marché américain se fermant, les productions de technologies vertes chinoises risquent d’inonder le marché européen. Les industries vertes européennes feront alors face à une concurrence accrue de la part de la Chine. Cela sans parler des potentielles ruptures d’approvisionnement de matériaux et technologies critiques venant des États-Unis et des restrictions des exportations européennes qui fragiliseront certains secteurs comme l’éolien.
Le Pacte industriel vert peut être la réponse à ce risque industriel. Mais encore faut-il que l’Union européenne apprenne le langage de la puissance industriell[6]. La question d’un nouvel emprunt commun ne peut plus être un tabou. Le Fonds de compétitivité européen promis par la présidente de la Commission doit être lancé rapidement. Au moins, 668 milliards d’euros sont nécessaires pour bâtir les chaînes de valeur de l’industrie verte sur le continent et soutenir l’innovation et les produits Made in Europe[7]. Malheureusement, les dirigeants européens semblent encore trop prudents pour franchir le pas vers une vraie stratégie industrielle européenne qui renforcerait notre sécurité économique et engagerait la réindustrialisation verte.
Réduire notre dépendance aux gaz naturel liquéfié américain
Enfin, Donald Trump veut relancer les forages de gaz et de pétrole[8]. La dépendance de l’UE à l’égard du gaz naturel liquéfié (GNL) américain s’est déjà considérablement accrue ces dernières années. À la suite de la guerre en Ukraine, l’Europe s’est tournée vers les États-Unis pour réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe. Les États-Unis fournissent ainsi la moitié de l’approvisionnement européen en GNL[9]. Cette dépendance croissante expose la sécurité énergétique européen aux soubresauts de la politique intérieure américaine. L’administration Trump est susceptible de l’utiliser comme outil de pression pour amener les Européens à des concessions commerciales et cela alors même qu’il y aura des conséquences économiques, les prix du GNL étant extrêmement volatiles sur les marchés internationaux. Dépendre des importations de gaz américain risque d’affecter directement la compétitivité des entreprises et les factures des ménages européens. Les prix du gaz en Europe sont déjà trois à cinq fois plus élevés que ceux des États-Unis, et les prix de l’électricité deux à trois fois plus élevés que ceux des États-Unis et de la Chine[10]. Le pouvoir géopolitique appartient à ceux qui ont la capacité d’influencer les prix de l’énergie et les flux commerciaux. Poutine a su jouer de cette capacité, Trump pourrait le faire à l’avenir.
L’élection de Trump est une raison supplémentaire pour l’Union européenne de revoir sa stratégie de sécurité énergétique. Elle doit aller au-delà de la diversification des sources d’approvisionnement pour mettre en place un véritable plan de réduction de sa dépendance au gaz, pétrole et charbon. L’électrification accélérée du chauffage, du transport et de l’industrie européenne couplée au déploiement des énergies renouvelables est un impératif de sécurité économique. Comme l’a souligné Dan Jorgensen, commissaire européen à l’énergie, lors de son audition devant le Parlement européen, il faudrait doubler la part de l’électricité dans le mix énergétique de 22% aujourd’hui à 50% en 2040[11]. Un plan européen d’électrification de l’économie permettrait de réduire la consommation de gaz de 84% d’ici 2040[12].
L’Union européenne est dépendante énergétiquement et industriellement du reste du monde, ce qui menace ses intérêts économiques, mais également sa cohésion. Le Pacte industriel vert peut être la réponse à ce défi en réindustrialisant le continent européen et en réduisant nos dépendances. L’élection américaine peut être le réveil qui permette à l’Union européenne de sortir de sa léthargie et d’apprendre le langage de la puissance industrielle et énergétique face aux géants du monde.
References
Par : Neil MAKAROFF
Source : Fondation Jean Jaurès