Ukraine-Russie : vers un aggiornamento stratégique américain ?

Mis en ligne le 26 Avr 2024

Ukraine-Russie : vers un aggiornamento stratégique américain ?

Le conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui bouleverse la donne géopolitique mondiale, procède de trois dimensions et interroge le positionnement stratégique des États-Unis. C’est l’idée maîtresse que développe le général (2s) Jean-Claude Allard dans ce papier. Il y aborde tour à tour les différents volets de cette guerre, interne à l’Ukraine, russo-ukrainienne et, au-delà, russo-américaine. Il souligne ensuite pourquoi cette guerre lui parait emblématique de la recomposition entre les acteurs majeurs de l’échiquier planétaire, et comment cela pourrait influer sur la stratégie américaine vis-à-vis de l’Ukraine.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Jean-Claude Allard , « Ukraine-Russie : vers un aggiornamento stratégique américain ? », IRIS. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur l’IRIS.

La guerre d’agression déclenchée par la Russie contre l’Ukraine est la catharsis des passions russes, incarnées aujourd’hui par Vladimir Poutine et nourries par trois conflits : une division interne à l’Ukraine, des tensions récurrentes russo-ukrainiennes et l’antagonisme atavique russo-américain.

La relation tumultueuse entre la Russie et l’Ukraine

Elle débute dès l’indépendance autour du partage des installations maritimes militaires, de la flotte soviétique de la mer Noire et des armes nucléaires stationnées en Ukraine. « La Russie est le problème-clé de l’Ukraine », déclare en juillet 1993 le président Kravtchouk[1]. Ces dissensions sont réglées par le traité de Budapest en 1994, mais depuis, le ressentiment est toujours resté vif pour une partie des politiques et oligarques ukrainiens. Il est en outre envenimé par des disputes autour de la vente et du transit du gaz russe avec un rôle négatif des deux côtés. Mais aussi et surtout par la volonté de Moscou d’avoir un droit de regard sur la politique étrangère ukrainienne, notamment pour s’assurer un glacis face à l’OTAN et par son besoin, considéré comme vital pour elle, de disposer du port de Sébastopol. La doctrine Kozyrev[2] est toujours d’actualité : « Il est en outre manifeste que, géographiquement, l’ensemble de la région de l’ex-URSS représente pour nous une sphère d’intérêt vital ». La Russie a voulu régler partie de ces disputes par un plan de long terme de déroutement de ses gazoducs (via Nord Stream I et II), des conditions financières avantageuses sur le prix du gaz (ristourne de 7 milliards de $ par an pour l’Ukraine) et pour la location du port de Sébastopol. Mais prétextant d’une volonté du gouvernement ukrainien de se rapprocher de l’Occident et de développer des politiques de réduction de l’influence russe, elle s’est saisie de la Crimée en 2014. Cette annexion a créé une situation inacceptable pour l’Ukraine et ouvert la spirale des sanctions occidentales.

L’émergence d’une guerre civile ukrainienne

L’Ukraine est un pays divisé entre une majorité cherchant l’unité nationale ukrainienne, majoritaire dans le Nord et l’Ouest. Une position qui a progressivement mué en pro-occidentalisme face aux menaces russes. Et une minorité irrédentiste à tropisme russe, majoritaire dans le Sud et l’Est du pays. Si ce pays a une histoire commune et souveraine depuis 1991, il porte dans sa mémoire les séquelles des guerres entre la Russie et la Pologne/Lituanie, du communisme, du nazisme, du stalinisme, mêlés à des divisions économique, culturelle, religieuse et politique. Les oppositions se confrontant schématiquement de part et d’autre de la ligne géographique citée précédemment. Ce clivage, à l’état latent lors de l’indépendance (1991), n’a cessé de s’affirmer au fil du temps et des crises (révolution orange ; révolution du Maidan) qui ont été vécues comme autant de rejets de leurs aspirations par les dissidents. Leur appel au rattachement du Donbass à la Russie par un référendum interne (11 mai 2014) a été refusé par Moscou.

Lorsque le président Tourtchynov, décide d’engager l’armée contre les milices séparatistes, la Russie ne laisse pas passer l’occasion de renforcer son soutien matériel et militaire, déjà actif au plan politique, à cette lutte armée. La non-application des accords de Minsk (1 & 2) signés entre l’Ukraine et la Russie et les entités dissidentes, sous le parrainage de l’Allemagne et de la France conduit à figer une ligne d’affrontements meurtriers jusqu’en février 2022.

Cet affrontement militaire s’inscrit en outre, pour la Russie, dans un conflit stratégique et idéologique avec les États-Unis.

Les Russes déplorent une sous-estimation de leur rôle dans la défaite du nazisme, estiment qu’ils ont été mis à genou par le programme de libéralisation économique de Boris Eltsine et de ses conseillers occidentaux et se considèrent comme victimes d’une politique agressive des États-Unis. Dès 1991, les États-Unis, après « l’endiguement » de la guerre froide mettent en place un programme de « refoulement »[3] sur tout le pourtour russe :  « contrat du siècle » en 1994 avec l’Azerbaïdjan et le gazoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) qui évincent la Russie ; Silk Road Strategy Act américain en 1999. Cette année 1999 voit en outre la mise en route du processus d’élargissement de l’OTAN vers les pays de l’Est, soit l’opération offensive de l’OTAN contre la Serbie, alliée de Moscou dans les Balkans.

C’est au cours de cette année noire pour la Russie que Poutine est nommé président du gouvernement (en août) avant d’être élu Président de la Russie en 2000.

Les premières années, il apporte son soutien aux États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 et il leur ouvre l’espace de la Caspienne et de la mer Noire (troupes américaines en Ouzbékistan, Kirghizstan, Géorgie, Azerbaïdjan). Mais la National Security Strategy de 2002 qui introduit le concept d’attaque préemptive suivie du dérapage de la guerre globale contre le terrorisme en Irak (2003), le retrait des États-Unis du traité ABM en 2001 suivi du déploiement du système ABM de l’OTAN en Europe, les difficultés à se faire admettre dans les institutions régionales européennes (UE, OTAN), sont vécues par les Russes comme autant de vexations politiques qui leur seraient adressées. Poutine formule ses critiques, demandes et menaces à la conférence sur la sécurité de Munich (2007). L’année suivante, c’est la proclamation d’indépendance du Kosovo, le soutien américain à l’adhésion à l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine qu’il subit comme des humiliations, alors que de son côté il s’engage militairement en Géorgie. Les années suivantes lui paraissent de plus en plus sombres : l’OTAN est engagée en Libye pour assurer une zone d’exclusion aérienne, mais son action dérive jusqu’à la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. La Russie s’engage en Syrie pour soutenir Bachar al-Assad, mais elle est rapidement critiquée au motif qu’elle ne concentre pas ses efforts sur l’État islamique (2015). En 2019, la Russie est accusée de violer le traité INF[4] avec le déploiement du missile 9M729, ce qui a conduit les États-Unis à considérer l’accord comme caduc.

L’affrontement URSS versus États-Unis se prolonge dans un affrontement États-Unis-Russie. Les premiers cherchant à exploiter l’espace géopolitique ouvert par la chute du communisme, les seconds sont torturés par la volonté de renouer avec un destin international, faisant de tout mouvement occidental, comme décrit ci-dessus, une atteinte directe à leur souveraineté et à leur orgueil de puissance.

Cet antagonisme bascule dans une guerre hybride lorsque, en avril 2022, après s’être effacés quelques jours avant l’offensive russe du 22 février, les États-Unis sont revenus pour affirmer leur engagement dans la guerre : « Nous voulons voir la Russie affaiblie, incapable de mener le type d’actions qu’elle a lancé sur l’Ukraine». Fin 2023, l’aide américaine s’élevait à $78 Mrds dont 46 pour la sécurité avec des armes, des équipements, de l’entraînement et du soutien au renseignement et à la planification.

L’Ukraine est donc pour la Russie, par son positionnement géopolitique, à la convergence de ces trois conflits

L’Ukraine estime en effet qu’elle pourrait contribuer à la puissance russe en lui donnant un accès aux mers chaudes, mais elle veut donner cet avantage aux États-Unis ; qu’elle affaiblit voire nie le pivot eurasiatique rêvé par Poutine (elle quitte la CEI en 2018 et refuse d’intégrer l’Union économique eurasiatique (UEEA) ; qu’elle paraît refuser le multilatéralisme tel que pensé par la Russie en cherchant à s’aligner sur les États-Unis. Depuis 1992 et la visite de Leonid Kravtchouk, premier président de l’Ukraine indépendante aux États-Unis, les accords stratégiques et les coopérations civiles et militaires entre les deux pays ont été multipliés : l’Ukraine a participé aux opérations militaires de l’OTAN et des États-Unis[5]. Actives depuis 1996, la formation de l’armée et la livraison de matériel à l’Ukraine se sont amplifiées à partir de 2014. En somme, elle est vue, par sa volonté d’adhérer à l’OTAN, comme un acteur indocile et déstabilisant de « l’étranger proche » considéré comme une chasse gardée russe.

En signant, avant l’offensive, un traité avec les deux républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk, puis en incorporant, fin 2022, leurs milices dans l’armée russe et enfin en annexant les quatre oblasts du Sud ukrainien à la Russie, le président russe liait les deux premiers problèmes énoncés en introduction. Ainsi, la recherche de l’autodétermination des oblasts du Donbass est réglée, ils deviennent territoire russe à défendre. La guerre se transforme réellement en conflit avec les États-Unis par Ukraine interposée qu’il faut amener à résipiscence.

Après avoir massé ses troupes en mars 2021 autour de l’Ukraine, c’est bien aux États-Unis, et non à l’Ukraine ou à l’UE que la Russie présente, le 17 décembre 2021, deux textes qui seront refusés, pour définir des accords de sécurité dans son environnement proche. Le « Traité entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » et l’« Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’OTAN ».

Sur le théâtre, même les objectifs sont politiques et territoriaux : obtenir la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée annexée, la neutralité de l’Ukraine, la libération des oblasts du Donbass. Ces objectifs se concrétisent par la saisie des rivages de la mer d’Azov pour contrôler la mer Noire, le barrage et la centrale hydroélectrique de Nova Kakhovka avec le canal de Crimée (24 février 2022) et la centrale nucléaire d’Enerhodar (4 mars 2022). Le génie militaire russe se met alors au travail pour construire trois lignes de défense qui ont arrêté les attaques ukrainiennes depuis l’automne 2022. L’administration russe s’est mise, elle, à l’ouvrage pour reconstruire et russifier les territoires conquis, politique marquée par la visite de Poutine à Marioupol le 19 mars 2023.

Après deux ans de résistance acharnée ayant permis de refouler l’armée russe derrière cette ligne fortifiée, l’armée ukrainienne, en absence de profondeur stratégique, malgré l’aide occidentale passe en mode défensif et construit sa propre ligne fortifiée. Les deux armées vont s’observer par-dessus les lignes et continuer la guerre de positions débutée en 2014. Il ne fait guère de doute que la Russie a militairement gagné un répit. Sa durée dépendra des soutiens occidentaux à l’Ukraine qui permettrait de relancer la reconquête.

Le soutien occidental dépend des États-Unis qui ont aussi l’œil sur la situation internationale.

Sur ce front stratégique international, les manœuvres continuent, car l’essentiel des visées russes, mises en mouvement par cette guerre, est de contester l’unilatéralisme américain et « l’ordre du monde selon des règles » que Poutine récuse parce que pour lui, elles ont été imposées par et au seul bénéfice des États-Unis : « […] tout le système du droit d’un seul État, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines : dans l’économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres États. À qui cela peut-il convenir ? ».

La Russie, souvent de connivence avec la Chine, s’est employée depuis longtemps à rassembler autour d’elle, y compris en invoquant la résistance à l’Occident. Elle a créé l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS, 2001) ; l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC, 2002) ; les BRIC (2006) ; elle a obtenu un sommet commun OCS/BRICS à Oufa (Russie, 2015) ; elle a créé l’Union économique eurasiatique (2015).  Au sommet russo-africain de Sotchi en 2019 devant 43 chefs d’État, le président Poutine parle de « l’attachement commun au multilatéralisme, au refus de l’ingérence et à la lutte contre l’exploitation, le racisme et le colonialisme ». Vladimir Poutine exploite ainsi une vision de l’Occident largement répandue dans les pays du Sud global, pour obtenir, sinon l’adhésion inconditionnelle à ses thèses et un soutien direct du moins une écoute intéressée.

Les dynamiques de recomposition lancées par la Russie portent des fruits. La Russie est accompagnée dans cette stratégie par la Chine : « Un changement qui n’était pas arrivé depuis un siècle arrive et nous conduirons ce changement ensemble », déclare Xi Jinping à Vladimir Poutine, en mars 2023, alors qu’un mandat d’arrêt vient d’être lancé contre le président russe par la Cour pénale internationale. Il y a plusieurs cadres de recomposition, retenons-en les deux plus marquants.

Premier cadre : les BRICS

Le forum des BRICS a été créé par Poutine (lancement des concertations en 2006, premier sommet des chefs d’État à Ekaterinbourg en 2009). La Russie, soutenue par la Chine pèse sur les orientations des BRICS : économiques au départ, elles concernent désormais toutes les questions débattues en international pour bien montrer qu’ils veulent agir sur les décisions politiques, sécuritaires, le développement durable, la lutte contre la pauvreté, la sous-alimentation. Ils se saisissent de tous les sujets traités par l’ONU et les organisations internationales et s’organisent pour définir leurs positions. Les déclarations finales des sommets, laconiques en 2009, sont désormais des programmes de politique internationale complets.

Les BRICS ne prétendent pas former un bloc contre l’Occident ou les États-Unis, mais affirment se rapprocher dans l’objectif de peser, au gré des besoins, sur les décisions des institutions internationales et remettre en vigueur le rôle de l’ONU[6]. Disons de façon schématique que le projet des BRICS est d’avoir ses membres fondateurs (Inde, Brésil, Afrique du Sud) comme membres permanents du CSNU et plus largement d’être présents dans les instances dirigeantes des institutions internationales et à partir de là, modifier l’esprit « occidental » de leur fonctionnement.

Ainsi, les BRICS ont été influents sur le sommet du G20 du 9 septembre 2023 dont la déclaration finale recouvre de nombreux thèmes des déclarations des BRICS, mais aussi de la Doctrine de politique étrangère de la Fédération de Russie (mars 2023) : non aux sanctions unilatérales, à l’emploi de la force dans les relations internationales, appel au multilatéralisme via ONU.

Les candidatures de rapprochement ou d’adhésion aux diverses structures de partenariats créées par la Russie sont nombreuses, portées par diverses raisons : entre autres, la tentation de prendre des distances vis-à-vis d’un monde régulé par les États-Unis ou la recherche de nouveaux équilibres régionaux ou les perspectives économiques que paraissent offrir ces nouveaux partenariats, avec la Chine notamment. S’y rajoute aussi l’attirance pour le principe du respect de la souveraineté politique que proposent ces institutions.

La guerre en Ukraine a consolidé, accéléré, libéré ce mouvement de fond de recomposition des relations internationales. Le rejet de la Russie se limite au monde occidental, les autres pays, au mieux observent, au pire ont une attitude positive. La Russie a repris, avec quelques succès, les stratégies, méthodes et moyens de l’URSS[7] pour affermir son influence et déstabiliser l’ordre international.

Second cadre : le pôle géopolitique eurasiatique

Il se profile aussi un pôle géopolitique eurasiatique de puissance russo-chinois innervé par de multiples axes de communications, notamment l’initiative de la « ceinture et des routes », l’International North–South Transport (INST) de la Russie à l’Inde, le développement de la route maritime du nord. Le principe majeur de la stratégie américaine de domination : éviter la formation d’un Heartland, c’est-à-dire d’une union entre les puissances continentales eurasiatiques, une vision soutenue par Zbigniew Brzezinski « […] l’Eurasie se situant au centre du monde, quiconque contrôle ce continent, contrôle la planète »[8], a fonctionné pour séparer l’Europe de la Russie et marque l’échec de Poutine.

Mais cette stratégie a contribué à créer une alliance sino-russe. Une forme du Heartland, bien plus redoutable, mais que n’avait pas prévue Brzezinski qui voyait seulement pour la Chine un potentiel de puissance régionale qui deviendrait « […] le point d’ancrage de l’Amérique en extrême-Orient […] aidant ainsi à créer un équilibre des pouvoirs en Eurasie, avec une Grande Chine à l’est de l’Eurasie contrebalançant dans ce domaine une Europe en expansion à l’ouest de l’Eurasie [9]», entourant une Russie ostracisée. Cette alliance est plus redoutable parce que la politique étrangère américaine a fait de la Chine un adversaire et non un « point d’ancrage » dans la compétition pour la régulation de l’ordre mondial et, de la Russie, un ennemi à combattre en soutenant l’Ukraine dans sa guerre défensive. Cette alliance ouvre à la Chine, pour consolider et pérenniser sa puissance, les immenses ressources de la Russie : réserves d’énergies fossiles, de compétences et de combustibles pour l’énergie nucléaire civile, sans compter son arsenal conventionnel et nucléaire, de matières premières et de minerais[10] utiles aux industries du futur, d’un important potentiel agroalimentaire à développer, d’une immense réserve d’eau douce. En somme, tout ce dont ont besoin les trois entités stratégiques : le monde occidental/américain pour maintenir ses positions, la Chine pour dominer le monde, le Sud global pour vivre. Au-delà de la guerre en Ukraine, il y a une compétition sino-américaine qui monte en puissance pour contrôler les ressources russes.

Cette compétition est bi-vectorielle

En stratégie directe : les États-Unis par leur soutien à l’Ukraine ont choisi la voie de la force pour affaiblir la Russie et espérer certainement y prendre à nouveau pied via les institutions internationales (retour de la décennie 1990-2000). La Chine, appliquant les leçons de Sun Tzu a fait le choix d’accompagner la stratégie russe : « Un changement qui n’était pas arrivé depuis un siècle arrive et nous conduirons ce changement ensemble », déclare Xi Jinping à Vladimir Poutine. Quel que soit le sort des armes en Ukraine pour la Russie, la ligne de front stratégique a basculé de Taïwan vers la frontière occidentale de l’Eurasie.

En stratégie indirecte : la Russie avec la Chine a lancé une dynamique de valorisation politique du Sud global qui progresse lentement mais sûrement, ce qui se fait par une modification/altération de la place de l’Occident dans le monde.

Vers un aggiornamento de la stratégie américaine ?

La stratégie proposée par Brzezinski a permis de passer de l’« endiguement » de la Russie pendant la guerre froide à son « refoulement[11] » depuis 1990. Une stratégie efficace et réussie jusqu’au réveil de la Chine devenue en une vingtaine d’années le nouveau compétiteur majeur à même de mettre en péril l’hégémon américain, d’autant plus facilement qu’elle aurait la Russie comme alliée. Certes, les États-Unis peuvent toujours parier sur un hypothétique divorce de ce couple que l’on peut penser mal appairé. Mais cela irait certainement mieux et plus vite si ce divorce pouvait être facilité. Ce n’est pas une défaite russe en Ukraine, si tant est qu’elle arrive, qui sera cause de la séparation, bien au contraire, elle serait l’occasion pour la Chine de soutenir encore plus la Russie. La compétition États-Unis/Chine est entrée dans la dernière ligne droite. Si la Chine peut aspirer les ressources russes, elle s’assurera la puissance absolue pour le siècle à venir, sinon au-delà. Cette menace n’a certainement pas échappé aux États-Unis qui doivent compléter leur stratégie et enfoncer au plus vite un coin entre Russie et Chine.

Un affrontement direct avec la Chine est à exclure. Des manœuvres de rapprochement avec la Russie seraient bien plus probables. Elles pourraient coûter à l’Ukraine le Donbass et la Crimée. Est-ce le prix que Washington serait prêt à payer pour maîtriser l’hégémon chinois ?

Le rapprochement sino-américain des années 1970, dirigé contre l’URSS, alors que la Chine a combattu contre les États-Unis en Corée, puis a apporté une aide militaire conséquente au Vietnam durant la guerre de 1965 à 1972 montre que la stratégie, surtout américaine, n’a pas vocation à se fossiliser, mais à s’adapter aux objectifs politiques[12]. Les États-Unis en sont conscients et la compétition avec la Chine en est le cœur : « The PRC is the only competitor with both the intent to reshape the international order […] and increasingly, the economic, diplomatic, military, and technological power to do it. » […] « In the competition with the PRC, as in other arenas, it is clear that the next ten years will be the decisive decade. We stand now at the inflection point, where the choices we make and the priorities we pursue today will set us on a course that determines our competitive position long into the future.»

 

References[+]


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