Le dernier rapport du GIEC d’avant COP 26 concluait à un risque fort de trajectoire de température terrestre allant au-delà de 1,5°C d’ici 2030. C’est dans ce contexte que s’est déroulée cette COP26, en première quinzaine de novembre 2021. Les autrices reviennent sur ce contexte et soulignent les grandes décisions comme les grandes déceptions de cette conférence.
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Les références originales de ce texte sont : “Cop 26, peut-on parler d’un échec ?”. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de l’IRIS.
Du 1er au 13 novembre dernier s’est tenue la COP26 à Glasgow. Très attendues, les négociations ont abouti à la signature du Pacte de Glasgow, s’inscrivant dans la continuité de l’Accord de Paris. Entre une ambiance tendue lors les négociations, des restrictions sanitaires impactant leur déroulé et des annonces en demi-teinte, les résultats de la COP26 ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique. Le point avec Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuses au sein du Programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS.
Dans quel contexte s’est déroulée la COP26 ?
Commençons par restituer un peu le contexte de cette COP. Elle se tenait après avoir été annulée en 2020. Il s’agissait donc de l’édition de l’an dernier, le tout dans un contexte pandémique toujours complexe : une partie des représentants officiels et des observateurs (ONG climat, peuples indigènes, etc.), en particulier ceux des pays du Sud, n’ont pas pu se rendre à cette COP.
Ensuite, il est important de rappeler que la COP26 s’est tenue après la sortie du rapport AR6 du GIEC, plus précisément du premier volet du rapport qui est sorti en août et qui posait plusieurs conclusions importantes. Le premier élément est que le lien entre les changements climatiques et les activités humaines est définitivement établi et ne peut pas être remis en cause ; le second que les événements climatiques extrêmes liés aux changements climatiques sont de plus en plus nombreux, en indiquant que de plus en plus d’études permettent d’établir un lien entre la multiplication de ces évènements et les changements climatiques. Enfin, et c’est certainement le point le plus important pour les négociateurs à la veille de la COP, le rapport du GIEC établit que la hausse de la température terrestre risque d’être supérieure à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle d’ici 2030, soit bien avant l’objectif fixé par l’Accord de Paris qui prévoit de limiter l’augmentation de la température moyenne à 2°C, voire 1,5°C d’ici 2100.
En amont de la COP26, comme le prévoit le texte de l’Accord de Paris, de nombreux pays ont soumis de nouvelles feuilles de route. Celles-ci ont pour but d’indiquer les stratégies des pays, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La publication de ces feuilles de route en amont de la COP permettait donc de prendre le pouls et de déterminer si l’orientation à l’échelle globale était positive ou non. Or, les feuilles de route, dont plusieurs ont été publiées au dernier moment, présentaient des chiffres peu encourageants, puisque, sur la base des objectifs présentés, on s’orientait vers +16% d’émissions d’ici à 2030 comparé à 2010 – soit vers un monde à + 2,7°C en 2100, très loin donc de l’objectif des + 1,5°C.
Les discussions de la COP26 étaient donc principalement orientées autour des objectifs de réduction des émissions, afin de permettre le respect des objectifs fixés dans l’Accord de Paris. Un autre point concernait les financements : il s’agissait là d’augmenter les engagements financiers des pays développés vers les pays en développement pour atteindre les 100 milliards de dollars par an qui devaient être atteints en 2020, et qui pour l’heure ne le sont pas. Toujours sur les financements, les pays devaient négocier la mise en place d’un mécanisme spécifique pour « compenser » la perte et les préjudices que les pays en développement subissent à cause des changements climatiques. Enfin, la COP devait permettre d’avancer sur la mise en œuvre de l’article 6 de l’Accord de Paris, qui comprend entre autres la mise en place d’un marché carbone international.
Le déroulement de la COP a été assez contraint d’un point de vue sanitaire, entravant partiellement la bonne tenue des négociations, avec des représentants absents et des sessions de négociations fermées aux observateurs. À noter que cette COP a aussi été marquée par l’importante présence du lobby pétrolier, qui a envoyé plus de 500 représentants à la fois en tant qu’observateur, mais aussi au sein des délégations de certains pays. Enfin, les absences de Vladimir Poutine et de Xi Jinping lors de l’ouverture de la COP ont cristallisé l’attention, mais le symbole s’est amoindri suite à la déclaration conjointe de la Chine et des États-Unis, qui en soit ne change pas la donne, mais a permis de dépolitiser, dans une certaine mesure, l’enjeu climatique.
Quelles sont les grandes décisions et les grandes déceptions à retenir à l’issue de cette COP26 ?
Les décisions qui ressortent de cette COP sont largement insuffisantes pour répondre à l’urgence climatique. Une petite anecdote marquante en ce sens : le président de la COP était au bord des larmes en donnant son discours de clôture, ce qui témoigne d’une certaine manière de la situation et de la faiblesse des décisions qui ressortent de ces deux semaines de négociations. Les séances plénières où se retrouvent les chefs d’États et de gouvernements ont été marquées par des prises de parole assez poignantes, notamment des représentants de pays insulaires, dont celle du ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, qui a donné son discours en costume, les pieds dans l’eau, pour témoigner de l’élévation du niveau des mers qui menace son territoire.
De cette COP ressort le Pacte de Glasgow. Il ne s’agit pas d’un nouvel accord, mais plutôt d’une feuille de route permettant de continuer la mise en œuvre de l’Accord de 2015. S’agissant de l’atténuation des émissions carbone et de la sortie des énergies fossiles, les feuilles de route, initialement rendues avant la COP, ont été légèrement mises à jour. La situation pré COP tablait sur une augmentation de 16% des émissions d’ici 2030. À l’issue des négociations, cette estimation diminue à +10% d’émissions d’ici à 2030, ce qui reste une augmentation. Sur ce point, le GIEC estime qu’il faudrait atteindre -45% d’émission pour rester sous les 1,5°C. L’écart entre les décisions et les recommandations est donc toujours très important. De tels engagements nous dirigent vers un réchauffement de +2,4 degrés d’ici à 2100, bien loin des ambitions de l’Accord de Paris, avec toutes les conséquences que l’on connaît, notamment en termes de catastrophes naturelles qui impactent les territoires, y compris européens.
Pour pallier ce manque d’ambition, il a été décidé la mise en place d’un mécanisme spécifique. L’Accord de Paris établissait normalement une révision à la hausse tous les cinq ans des feuilles de route. Désormais, on demande aux États de revenir l’année prochaine, en 2022 à l’occasion de la COP27, avec de nouveaux engagements en termes de réduction. Cela rapproche l’échéance avec pour but de resserrer l’écart qu’il y a entre les engagements actuels et les objectifs de l’Accord de Paris.
S’agissant de l’accélération de la sortie des énergies fossiles, dans le texte de l’Accord de Paris, les énergies fossiles, que ce soit le gaz, le pétrole ou le charbon, ne sont absolument pas mentionnées. Dans le Pacte de Glasgow, la mention d’accélération de la sortie des énergies fossiles et la réduction du charbon est bien présente. C’est une avancée en soi, malgré le passage d’une « sortie » à une « réduction » de l’utilisation des énergies fossiles. C’est l’Inde qui a fait la demande de cette modification, mais il faut rappeler qu’elle n’a émis que 3% des émissions cumulées, et qu’elle s’appuie sur le charbon et l’énergie solaire pour son développement.
Sur la question de l’adaptation et des pertes et préjudices, il s’agit là de la grande déception de la COP, alors même qu’il s’agissait d’un enjeu crucial. Pendant longtemps, on a beaucoup parlé de l’importance de réduire les émissions. Depuis quelques années on commence à parler d’adaptation, des questions de pertes et préjudices : soit celles liées aux impacts que subissent déjà les pays en développement, sans disposer de moyens de réponse adaptés. Ils ont donc besoin de financements pour s’adapter et pour pouvoir répondre aux pertes importantes qu’ils subissent. A donc été négociée la mise en place d’un mécanisme de dédommagement pour répondre aux pertes et préjudices, mais sans aboutir à aucun engagement. Ce qui a simplement été décidé est la mise en place d’un dialogue pour discuter de ces enjeux, ce qui donne quelques années de plus aux États qui ne souhaitent pas s’engager. C’est ce point de crispation entre pays développés et pays en développement qui a provoqué 24 heures de retard dans les négociations. Les États-Unis et l’Union européenne sont les principaux responsables de ces blocages pour la mise en place un mécanisme de compensation. Cela risque de ne pas être sans conséquence sur les négociations à venir.
S’agissant des engagements financiers, nous restons très loin des 100 milliards de dollars annuels en 2020. Alors que les pays développés s’y étaient engagés dès 2009, ces derniers devraient être atteints en 2022-2023. D’un point de vue financier, cette COP n’est donc pas non plus une réussite.
Enfin, l’article 6 de l’Accord de Paris constitue un point de blocage depuis de nombreuses années. Il s’agit du mécanisme qui doit permettre la mise en place du marché carbone international et des mécanismes de compensation. Cet outil est considéré par beaucoup comme indispensable pour atteindre les objectifs fixés. Sur ce point, il y a eu quelques avancées, notamment en termes de double comptabilité. Par ailleurs, devrait désormais être mis en place un mécanisme indépendant pour régler les griefs entre pays, notamment sur les problématiques d’accaparement des terres et de violation des droits de l’Homme qui sont liés à certains projets de reforestation.
Qu’en est-il des autres annonces spécifiques sur l’arrêt des financements des énergies fossiles, la déforestation, les émissions de méthane… ?
En parallèle des négociations formelles, dont on sait que l’issue est souvent décevante, ont été pris plusieurs engagements à l’initiative de coalitions de pays. Ces engagements volontaires permettent notamment de détourner le vote à l’unanimité qui est nécessaire pour faire adopter tout texte officiel.
Ainsi, on peut noter trois initiatives majeures. La première est l’adoption d’un accord, réunissant 34 signataires, qui vise à stopper le financement à l’étranger des énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) d’ici 2022. Bien que considéré comme une avancée majeure, il convient de noter que les principaux pays exportateurs ne sont pas signataires de l’accord d’une part, mais aussi que le financement resterait possible si les projets sont annexés à de la capture et stockage de carbone ou s’ils sont « alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris ».
Un autre accord qui vise spécifiquement la diminution des émissions de méthane de 30% d’ici 2030 a également été adopté. Cette initiative menée par les États-Unis et l’Union européenne n’aura pas réussi à rallier les plus gros émetteurs (Chine, Inde, Russie, Australie et Iran).
Enfin, près de 180 pays se sont engagés à stopper la déforestation d’ici 2030, notamment à travers la mobilisation de 16,5 milliards d’euros pour la protection et la restauration des forêts.